L'histoire électorale du Canada de 1867 à aujourd'hui
L'Énigme ontarienne de 1879
(Ou quand les maths n'ont tout simplement pas de sens)
par Maurice Y. Michaud (il/lui)
Le système majoritaire uninominal est reconnu d'être capable de mener à de drôles de résultats, mais ceux des générales ontariennes de 1879 défient l'entendement. Ce n'était pas une élection du « mauvais gagnant », où le parti avec le plus de voix n'a pas pu former le gouvernement. C'était plutôt un cas où, avec seulement 2 voix de plus à l'échelle provinciale, le Parti libéral a réussi à obtenir 26 sièges de plus que le Parti conservateur. Une personne raisonnable penserait que si les deux partis étaient à égalité, le nombre de sièges aurait dû être relativement proche.
Compliquant les choses : les lignes de parti n'étaient pas fermes au XIXe siècle comme elles le sont aujourd'hui. Un candidat n'avait pas besoin d'obtenir l'investiture du parti pour se présenter ; il n'avait qu'à se déclarer « libéral » ou « conservateur », donc plus d'un candidat d'un même parti pouvait se présenter pour un siège. Mais même avec sept candidats de plus que les libéraux, les conservateurs ont obtenu beaucoup moins de sièges.
Ontario |
4 → 1879 :: 5 jun 1879 — 26 fév 1883 — Majoritaire LIB
Sommaire |
Gouvernement |
Opposition |
Votes non-productifs |
Parti |
Votes |
Sièges |
Parti |
Votes |
Sièges |
Parti |
Votes |
# |
% |
% |
# |
# |
% |
% |
# |
# |
% |
Parlement: 4 Majoritaire
Majorité=45 Maj.Ab.: +12 Maj.G.: +24
Population [1871]: 1,620,851
Éligible: 392,085 Particip.: 63.22%
Votes: 247,857 Non-productifs: 8,691
Sièges: 88 1 siège = 1.14%
↳ Sys.élec.: SMU: 88
↳ Sans opposition: 2 (2.27%)
Pluralité: Votes LIB Sièges LIB
Pluralité: ↳ +2 (+0.00%)
Pluralité: ↳ Sièges: +26 (+29.55%)
Position2: Votes LC Sièges LC
|
Candidatures: 189 (✓ 88) LIB 80 LC 87 AUT 3 IND 19
|
LIB |
118,515 |
47.82 |
63.64 |
56 |
LC
AUT |
118,513
2,111 |
47.82
0.85 |
34.09
2.27 |
30
2 |
AUT
IND
REJ
ABS |
606
8,085
——
144,228 |
0.24
3.26
——
—— |
LIB Sans opposition: 1. N'a reçu que 2 votes de plus que les Conservateurs mais a remporté près du double du nombre de sièges.
LC Sans opposition: 1
AUT → CONI 2 (✓ 2) TRV 1
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Alors qu'est-ce qui pourrait bien expliquer le sort des conservateurs ontariens en 1879 ? Un tiers parti est-il venu gâcher la sauce ? Arriver à une réponse est un exercice de spéculation et n'est en aucun cas définitif, mais essayons quelques thèses pour voir.
Thèse I : Il y avait un parti gâcheur
Cette thèse ne tient pas car, à part les 19 candidats indépendants, il n'y en avait que trois qui n'étaient ni libéraux, ni conservateurs : deux étaient des conservateurs indépendants et ont remporté leur siège, et un était travailliste et il a perdu son siège... à un conservateur.
Thèse II : Les indépendants étaient les gâcheurs
Dix-neuf candidats se sont présentés en tant qu'indépendants. Obtenant ensemble 8 085 voix (ou 3,26%), aucun d'entre eux n'a gagné. De plus, dans les 12 comtés où des indépendants se sont présentés, le conservateur ou le conservateur indépendant l'a emporté, sauf dans Oxford South. Là, deux indépendants se présentaient contre le libéral, Adams Crooks, mais la somme de leurs votes était inférieure à la pluralité de Crooks. On ne peut donc pas blàmer les indépendants pour le sort des conservateurs.
Thèse III : C'est la faute de Personne !
Cette thèse mérite d'être explorée, bien qu'elle ne puisse pas être prouvée aussi catégoriquement qu'un incident de partage des voix. Elle part du principe que lorsque la participation tombe en dessous de 72%, les chances sont que le nombre de votes non exprimés dépasse celui des votes reçus par le gagnant, faisant de Personne le gagnant. Dans ces élections, Personne a gagné 39 fois, mais la participation était inférieure à 72% dans la majorité des comtés. Alors, quel aurait pu être l'impact d'avoir une participation de 75% dans les comtés où les conservateurs n'ont pas gagné ?
Pour trouver la réponse :
- Écartons les 38 comtés où :
- le siège a été remporté sans opposition,
- ou aucun candidat de LC se présentait,
- ou le siège a été remporté par LC
- ou le siège a été remporté par CONI mais a déjà été compté ici comme LC
- ou la participation était de 75% ou plus,
ce qui nous laisse 50 comtés à calculer le nombre de votes qu'il y aurait eu si la participation avait été de 75%.
- Si deux LIB ou LC ou plus se sont présentés dans un comté, combinons le nombre de votes comme s'il n'y en avait eu qu'un.
- Supposons qu'une majorité de ceux qui n'ont pas voté (3 sur 5, mais ajustable ci-dessous) aurait voté pour LC mais n'ont pas pris la peine de voter parce qu'ils ont senti qu'une victoire du sortant LIB était inévitable.
- Additionnons la part majeure de ces votes hypothétiques aux votes obtenus par LC et la part mineure à ceux obtenus par LIB .
- Recalculons les résultats dans chacun de ces 50 comtés pour trouver ceux où le parti gagnant aurait pu être différent.
Ainsi on peut dire qu'il pourrait y avoir eu 12 différences.
Le résultat est choquant : 6 998 votes de plus dans 12 comtés, dont 3 sur 5 pour les conservateurs, auraient pu mener à une égalité. Ce modèle est de la théorie pure basée sur de nombreuses hypothèses, mais il démontre que, de ces 12 comtés :
- La plus grande pluralité libérale réelle — 137 voix — appartenait à Edward Robinson dans Kent West, mais
- la plus grande pluralité théorique conservatrice — 176 voix — aurait appartenu à un dénommé Murray dans Hamilton.
- La plus petite pluralité libérale réelle — 10 voix — appartenait à George Hawley dans Lennox, mais
- la plus petite pluralité conservatrice théorique — 8 voix — aurait appartenu à George Denison dans Addington, qui a remporté le siège aux prochaines élections générales en 1883.
Avec ce modèle, plus on augmente la part donnée aux conservateurs, plus la distorsion du nombre de sièges se manifeste, mais en faveur des conservateurs plutôt que des libéraux (comme cela s'est produit lors de ces élections). Mais, nous pouvons certainement tirer deux conclusions :
- Plus la participation est faible, plus il y a de chances que le nombre de sièges soit déséquilibré en faveur du vainqueur.
- Mais surtout, cela devrait prouver à ceuxes qui pensent que leur vote ne compte pas que lels ont très, très tort.
Il aurait compté en 1879, et il compte en 2024. Dommage que vous ne puissiez plus en parler à
Frank Calder !
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Maurice Y. Michaud)
Pub.: 21 mai 2023 12:00
Rev.: 17 jan 2024 22:17 (mais données présentées dynamiquement)