L’encyclopédie électorale du Canada

Pourquoi la règle de trois ne suffit pas
(Et ce qu’il faut faire à la place)

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

Symboles mathématiquesAvoir ce simulateur d’élections passées est la raison pour laquelle PoliCan existe aujourd’hui.

Après avoir étudié les différents systèmes électoraux utilisés dans les démocraties du monde, les membres des commissions chargées de considérer une réforme électorale dans leur juridiction ont eu tendance à utiliser les résultats de leurs précédentes élections générales pour simuler les résultats avec leur système pro­por­tion­nel proposé. Quoiqu’on indiquait avoir essayé d’ajuster certains paramètres, comme le ratio de sièges réguliers et proportionnels ou les seuils que les partis devraient atteindre pour obtenir des sièges compensatoires, on ne publiait que des simulations basées sur les para­mètres retenus. C’était raisonnable, car rassembler et calculer des résultats alternatifs prend du temps, sans compter la complexité pour qui­conque qui devait ensuite assimiler la matière et les recommandations.

Mais c’était avant qu’un fou comme moi ait l’idée de rassembler tous les chiffres de chaque élection jamais tenue au Canada et de les saisir dans une base de données unique. Le simulateur SPM de PoliCan vous permet de prendre n’importe quelle des 434 élections générales partisanes tenues au Canada et estimer le nombre de sièges que les partis auraient pu remporter en mode pro­por­tionnel mixte (ou SPM).

Il serait trop simpliste d’examiner le pourcentage de votes recueillis par chaque parti lors d’une élection générale et de supposer que, dans un système proportionnel, ils auraient inévitablement le même pour­cent­age de sièges. C’est qu’un système bien conçu a besoin de freins, ou de seuils, pour empêcher un parti transitoire ou marginal d’obtenir un siège simplement parce que quelques milliers de personnes dans un comté auraient voté pour lui. Si la plupart des votes pour ce parti sont concentrés dans un seul comté, ils pourraient permettre à son candidat de remporter le siège, et bravo ! Mais si ses autres votes sont dispersés entre plusieurs ou tous les autres comtés, alors sa performance globale dans la juridiction devrait, à juste titre, être considérée comme négligeable.

Appliquer la règle de trois aux votes et aux sièges disponibles ne répond pas aux préoccupations fondamentales relatives à un système électoral, la plus évidente étant la représentativité géographique. Objectivement, il est vrai qu’en 2021, les conservateurs fédéraux ont remporté la pluralité des voix et 33.7% du vote populaire au pays. Cependant, si l’on examine les résultats pour les 104 sièges des quatre provinces de l’Ouest seulement, leur vote populaire était de 44.5%, mais n’était que de 28.9% pour les sièges restants des six autres provinces. Dans un Parlement de 338 sièges où un siège équivalait à 0.30% des sièges, la règle de trois n’indiquerait que les conservateurs auraient dû avoir 114 sièges, sans indication d’OÙ ces sièges auraient dû être. De la même manière, la règle de trois aurait aussi suggéré que l’aujourd’hui défunt Parti libre du Canada, avec seulement 47 252 votes à travers le Canada et 0.4% du vote populaire, aurait pu avoir droit à un siège (vraiment ?!) mais encore là, sans indication d’OÙ. La représentativité géographique est une préoccupation si grande qu’elle prime sur la pure proportionnalité dans un SPM.

En 1792, aux États-Unis nouvellement formés, il était proposé d’augmenter le nombre de sièges des états du nord à la Chambre des représentants. Thomas Jefferson — oui, l’éventuel le troisième président — a inventé une formule, utilisée jusqu’en 1842, qui proposait plutôt une répartition pro­por­tion­nelle basée seulement sur la population de chaque état. En 1878, un mathématicien belge, Victor D’Hondt , a réinventé indépendamment la formule pour attriber des sièges au sein d’une législature, en remplaçant la population d’un état par le nombre de voix obtenues par un parti politique. C’est peut-être parce que sa version était conçue spécifiquement pour l’attribution des sièges après une élection que la même formule lui est au­jour­d’hui davantage attribuée qu’à Jefferson.
 

La méthode d’Hondt

La méthode D’Hondt attribue un siège au parti obtenant le quotient le plus élevé (Q) dans cette équation :

 Q  = V ÷ (s + 1)

V est le nombre de votes et s le nombre de sièges. Mais comme chaque parti commence avec aucun siège, cela signifie que le diviseur (ou dé­no­mi­na­teur) initial de chacun peut être simplifié à 1 :

 Q  = V ÷ 1

Donc dans une élection bipartite où le Parti A avait obtenu 4 millions de votes et le Parti B 3 millions de votes, le premier tour irait comme suit :

QA = 4 000 000 ÷ 1 = 4 000 000.
QB = 3 000 000 ÷ 1 = 3 000 000

Le Parti A obtiendrait évidemment ce premier siège. Avant le tour suivant, le dénominateur du Parti A serait augmenté de 1, mais celui du Parti B resterait inchangé. Par conséquent, le tour suivant se présenterait ainsi :

QA = 4 000 000 ÷ 2 = 2 000 000.
QB = 3 000 000 ÷ 1 = 3 000 000

Ainsi, le Parti B obtiendrait le deuxième siège, et ce processus serait répété jusqu’à ce que tous les sièges soient attribués.
 

La méthode de Sainte-Laguë

La méthode alternative à D’Hondt la plus courante est la méthode de Sainte-Laguë , nommée d’après André Sainte-Laguë et utilisée notamment en Allemagne et en Nouvelle-Zélande. Elle est réputée pour offrir un ratio sièges/votes plus égalitaire entre les partis de toutes tailles que la méthode D’Hondt, et pour ne pas favoriser les plus grands partis autant que D’Hondt. Le quotient commence comme :

 Q  = V ÷ (2s + 1)

V est le nombre de votes et s le nombre de sièges. Comme chaque parti commence avec aucun siège, cela signifie que le diviseur (ou dé­no­mi­na­teur) initial de chacun peut être simplifié à 1 :

 Q  = V ÷ 1

Dans une élection bipartite où le Parti A avait obtenu 4 millions de votes et le Parti B 3 millions de votes, le premier tour irait comme suit :

QA = 4 000 000 ÷ 1 = 4 000 000.
QB = 3 000 000 ÷ 1 = 3 000 000

Le Parti A obtiendrait ce premier siège. Comme dans D’Hondt, avant le tour suivant, le dénominateur du Parti A serait augmenté mais de 2 — soit (2×1 siège)+1 — mais celui du Parti B resterait inchangé. Par conséquent, le tour suivant se présenterait ainsi :

QA = 4 000 000 ÷ 3 = 1 333 333.
QB = 3 000 000 ÷ 1 = 3 000 000

Ainsi, le Parti B obtiendrait le deuxième siège, et ce processus serait répété jusqu’à ce que tous les sièges soient attribués.

En Norvège, le tour initial commence avec V ÷ 0.7 et avec V ÷ 0.6 en Suède. Donc le premier tour en Norvège irait comme ceci :

 Q  = V ÷ 0.7
QA = 4 000 000 ÷ 0.7 = 5 714 286.
QB = 3 000 000 ÷ 0.7 = 4 285 714

Mais lorsqu’un parti remporte son premier siège, il passe à 3 et augmente par la suite de +2 (donc 0.7, 3, 5, 7...). Par conséquent, les trois prochains tours iraient comme ceci :

QA = 4 000 000 ÷ 3 = 1 333 333.
QB = 1 333 333 ÷ 0.7 = 4 285 714
QA = 4 000 000 ÷ 3 = 1 333 333.
QB = 3 000 000 ÷ 3 = 1 000 000
QA = 4 000 000 ÷ 5 = 800 000.
QB = 3 000 000 ÷ 3 = 1 000 000

Bref, le diviseur est toujours un nombre impair, à l’exception du premier tour en Suède.

Vous remarquerez que si vous choisissez les paramètres d’un pays au lieu de personnaliser le ratio et le seuil, et que ce pays utilise la méthode de Sainte-Laguë, le simulateur SPM de PoliCan adaptera ses calculs en conséquence.
 

La formule dans les systèmes majoritaires

Franchement, il n’y a aucune formule dans les systèmes majoritaires. Il n’y a que des sommes, et l’accent est mis sur le nombre de sièges plutôt que sur le nombre de votes. Les votes sont additionnés séparément dans chaque comté, et pour remporter le siège du comté, une candidate n’a besoin qu’un vote de plus que le candidat en deuxième. La somme des votes dans tous les comtés devient une donnée « à titre indicatif seulement », car la seule somme qui compte est celle des sièges, par parti.

Comtés Votes Sièges
Parti A Parti B Parti A Parti B
A 2,001 1,999
B 2,001 1,999
C 2,001 1,999
D 2,001 1,999
E 1,999 2,001
F 2,001 1,999
G 2,001 1,999
H 2,001 1,999
I 1,999 2,001
J 1,999 2,001
20,004
50.01%
19,996
49.99%
7
70.00%
3
30.00%

Ceci n’est évidemment qu’un exemple simplifié à l’extrême, mais il illustre parfaitement comment les systèmes électoraux majoritaires sont déterminés à produire des gouvernements majoritaires. Songez qu’en Ontario en 1879, 2 votes de plus pour les libéraux ont donné ces résultats.

Ontario Ontario
 4 → 1879 ::  5 jun 1879 — 26 fév 1883 — Majoritaire Majoritaire  LIB 
Sommaire Gouvernement Opposition Votes perdus
Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes
# % % # # % % # # %
Parlement: 4   Majoritaire Majoritaire
Majorité=45  Maj.Ab.: +12  Maj.G.: +24
Population [1871]: 1,620,851
Éligible: 392,085  Particip.: 63.22%
Votes: 247,857  Perdus: 8,691
Sièges: 88   1 siège = 1.14%
↳ Sys.élec.:  SMU: 88  
↳ Sans opposition: 2 (2.27%)
Pluralité: Votes  LIB  Sièges  LIB 
Pluralité:  +2 (+0.00%)
Pluralité:  Sièges: +26 (+29.55%)
Position2: Votes  LC  Sièges  LC 
Candidatures: 189 (✓ 88)
 LIB  80   LC  87   AUT  3   IND  19  
 LIB 
118,515 47.82 63.64 56
 LC 
 AUT 
118,513
2,111
47.82
0.85
34.09
2.27
30
2
 AUT 
 IND 
 REJ 
 ABS 
606
8,085
——
144,228
0.24
3.26
——
——
 LIB  Sans opposition: 1. N'a reçu que 2 votes de plus que les Conservateurs mais a remporté près du double du nombre de sièges.
 LC  Sans opposition: 1
 AUT  CONI  2 (✓ 2)   TRV  1
 !!!  39 (44.32%)

Voyons comment la méthode D’Hondt aurait affecté une élection plus récente menée en SMU si elle avait été en mode SPM.



© 2005, 2025 :: PoliCan.ca (Maurice Y. Michaud)
Pub.: 17 mai 2025 15:00
Rev.: 27 jui 2025 11:35