par Maurice Y. Michaud (il/lui)
Le simulateur SPM de PoliCan ne prétend pas que les résultats des élections que vous pouvez y simuler auraient été exactement ceux présentés. Ces simulations reposent sur la thèse que chaque parti aurait obtenu le même nombre de voix que lors d’une élection en scrutin majoritaire uninominal. Or, nous savons que le comportement de l’électorat serait différent si le vote stratégique était éliminé, tel qu’il le serait dans un système proportionnel. PoliCan reconnaît aussi que le système proportionnel à vote unique transférable (VUT) permettrait d’obtenir une meilleure proportionnalité. Cependant, il n’est pas possible de développer un simulateur en mode VUT puisque l’électorat n’avait pas classé les candidat·e·s en lice lors de ces élections antérieures. Le quota et la valeur de transfert pourraient être calculés, mais en l’absence de choix classés au-delà du premier choix, cette valeur de transfert ne pourrait pas être appliquée.
Le consensus au Canada et au Québec est que le nombre de sièges dans chaque assemblée devrait demeurer le même ou augmenter de très peu dans un système proportionnel. Ce n’est pas toujours le cas dans de tels systèmes. En Allemagne, il peut y avoir des « sièges excédentaires » pour tenir compte des partis en surnombre au tour local, mais obtenir une proportionnalité globale quasi parfaite avec les tours régionaux. Ce simulateur est plutôt basé sur la formule écossaise, qui permet d’obtenir une proportionnalité beaucoup plus proche plutôt que quasi parfaite, l’idée étant que tout système proportionnel serait mieux que le SMU actuel. Effectuer quelques simulations devraient vous en convaincre.
La méthode D’Hondt est à la base de la formule écossaise utilisée pour ce simulateur. Là où la formule écossaise diffère de celle de D’Hondt, c’est dans le point de départ, à savoir dans le nombre de sièges attribués à chaque parti.
Dans la méthode D’Hondt pure, chaque parti commence sans siège, ce qui donne au diviseur (ou dénominateur) initial la valeur de 1. En Écosse, les gens disposent de deux bulletins : un pour élire leur député·e local·e ou « de comté » par scrutin majoritaire uninominal, et un pour élire leur député·e « supplémentaire » ou régional·e, selon la préférence de parti, à partir d’une liste fermée de candidatures. Voilà pourquoi on appelle ce système « mixte » : il comporte un mélange de deux types de député·e·s, et deux méthodes de décompte. La méthode D’Hondt ne s’applique qu’aux bulletins régionaux, mais tient compte des sièges remportés en mode SMU. Ainsi, si le Parti A remporte 64 sièges en SMU et le Parti B en remporte 31, leurs diviseurs initiaux seraient de 65 et de 32.
Si le Québec avait passé sa réforme proposée en 2019, il aurait aussi modifié D’Hondt pour tenir compte des sièges remportés. Cependant, il aurait divisé ce nombre par 2 avant le +1 requis pour éviter une erreur de division par zéro. Ainsi, si le Parti A avait remporté 64 sièges en SMU et le Parti B en avait remporté 31, leurs diviseurs initiaux au premier tour auraient été de 33 (c’est clair) et de 17 (moins clair avant qu’on réalise que tout reste aurait été arrondi au prochain nombre entier avant d’appliquer le +1). En plus de suggérer un trop grand nombre de régions, le système proposé était conçu pour minimiser les cas de gouvernements minoritaires et n’aurait pas été aussi « compensatoire » qu’on le laissait entendre.
L’alternative la plus courante à la méthode D’Hondt est la méthode de Sainte-Laguë, utilisée notamment en Allemagne et en Nouvelle-Zélande. Elle fonctionne comme D’Hondt, sauf que le dénominateur initial est fixé à 1 (mais à 0.7 en Norvège et à 0.6 en Suède) et augmenté ensuite par 2. Vous remarquerez que si vous choisissez les paramètres d’un pays au lieu de personnaliser le ratio et le seuil, et que ce pays utilise la méthode de Sainte-Laguë, le simulateur adaptera ses calculs en conséquence.
Pour favoriser la proportionnalité, il est mieux d’avoir plus de sièges compensatoires afin que la formule puisse être appliquée plus souvent. Le simulateur cesse les attributions une fois que les sièges disponibles ont été attribués, même si la proportionnalité n’a pas été atteinte, car c’est ainsi que les systèmes proposés au Canada auraient fonctionné. Ces systèmes envisageaient un ratio de 67:33, ou à peu près, et visaient une proportionnalité beaucoup plus proche et à ne pas autoriser de sièges excédentaires. Le simulateur adopte cette idée et son ratio par défaut est également de 67:33, ajustable à 50:50, 55:65, ou de 60:40 à 75:25. Il fixe le ratio à 0:100 pour les pays oú tous les sièges sont attribués proportionnellement.
Pousser les quotients de chaque parti si bas qu’un parti marginal parvienne à gagner un siège lors d’un dernier tour est une conséquence indésirable d’appliquer fréquemment la formule D’Hondt. Il est donc courant de fixer un seuil de pourcentage de voix pour l’ensemble du territoire — entre 2% et 5% — pour qu’un parti puisse prétendre à des sièges compensatoires. Certains pays élève ce seuil pour les partis se présentant en coalition, mais le simulateur ne permet pas de regrouper les partis comme s’ils n’en formaient qu’un... du moins pas encore.
Le paramètre par défaut du simulateur est de 5%, mais il peut être réduit à 2% ou augmenté à 10%. Il propose également d’autres seuils, tel que remporter un nombre donné de sièges locaux sans égard du pourcentage de voix sur le territoire, ou remporter un nombre donné de sièges locaux ET atteindre un certain pourcentage, ce qui place la barre plus haut.
À titre d’exemple, prenons les générales fédérales de 2021, à la suite desquelles le Parti libéral a formé un deuxième gouvernement minoritaire consécutif. Supposons qu’un parti doive obtenir 5% des voix à l’échelle nationale pour être admissible à des sièges régionaux. Les candidat·e·s non partisan·e·s et indépendant·e·s sont toujours exclu·e·s. Le nombre de votes sera le numérateur des partis qui se qualifieront.
Il convient de noter à quel point le Parti vert était loin d’atteindre le seuil de 5%, alors qu’il l’avait dépassé de 1.54% aux fédérales de 2019. Il convient également de noter que le Parti populaire n’a raté le seuil que de 0.06%. Si le seuil avait été fixé à 4.5%, le PPC aurait pu obtenir jusqu’à 17 sièges régionaux, principalement aux dépens des libéraux et des conservateurs.
Les résultats (ou « données ») sont issus d’élections au scrutin majoritaire uninominal. Comme le simulateur ne doit pas fabriquer des données, il suppose que chaque parti aurait obtenu le même nombre de voix, même s’il est démontré que le système électoral peut influencer le comportement de l’électorat. Mais supposant un ratio de sièges locaux à régionaux de 67:33, le nombre de sièges locaux pourrait être estimé ainsi :
Il convient de noter que lorsque des partis qui ne se sont pas qualifiés pour des sièges régionaux ont remporté des sièges locaux, ou lorsque des partis qui se sont qualifiés ont surperformé au niveau local, le nombre de tours pour les sièges régionaux est réduit puisque le simulateur ne permet pas des sièges exédentaires.
Le numérateur est le nombre de votes obtenus par le parti, tandis que le diviseur (ou dénominateur) initial est fixé à :
où L est le nombre de sièges locaux gagnés.
Le diviseur du parti remportant le premier siège est incrémenté de 1 avant de passer au tour suivant, tandis que ceux des autres partis ne changent pas. Il y a autant de tours que de sièges à attribuer, le diviseur du parti gagnant étant le seul à être incrémenté de 1.
Le calcul doit être fait pour chaque parti qualifié, autant de fois qu’il y a de sièges régionaux à attribuer. Le premier tour se déclinerait donc comme suit :
Étant donné que le quotient (ou résultat) du NPD est le plus élevé, il obtiendrait le premier siège régional, et son diviseur serait ensuite incrémenté comme ceci avant le tour suivant :
Les diviseurs des autres partis qualifiés resteraient inchangés. Le calcul serait alors refait 110 fois : à chaque fois, le parti gagnant verrait son diviseur incrémenté de 1 avant le prochain tour, tandis que ceux des autres ne changeraient pas.
Le simulateur calcule tout cela dès que vous appuyez sur le bouton « Simuler ». L’étape 4 consiste davantage à montrer le fonctionnement du simulateur. Cependant, le résumé au début de cette étape révèle comment l’écart entre les pourcentages de voix et de sièges serait considérablement réduit pour les partis qualifiés, en particulier ceux qui ont sous-performé localement, et comment l’électorat ne se retrouverait presque jamais avec le « mauvais gagnant » pour former le gouvernement. Dans cet exemple, on lirait :
En effet, il y a un MAIS, parce que ce n’est pas tout à fait comment un système proportionnel mixte serait conçu.
Dans cet exemple, le simulateur a simplement pris le ratio de sièges et le seuil de compensation, puis appliqué ces paramètres à l’ensemble de la juridiction. MAIS en réalité, une juridiction serait divisée en régions. Par exemple, l’Alberta pourrait être divisée en Grand-Calgary, Grand-Edmonton et le reste de la province, tandis que le Manitoba pourrait avoir une région pour le Grand-Winnipeg et une autre pour partout ailleurs. Le simulateur effectue ses calculs par région. Dans l’exemple présenté ici, il pourrait effectuer une série de x tours pour la première région, une autre série de y tours pour la région suivante, ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ait parcouru toutes les régions.
Il pourrait y avoir plusieurs schémas régionaux au niveau fédéral. Le Canada pourrait être divisé en ses provinces et territoires, ce que certain·e·s qualifieraient « d’égalitaire ». Mais une approche plus équitable qui mènerait à une proportionnalité régionale plus juste serait de regrouper Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador comme Atlantique, Manitoba et Saskatchewan comme Prairies, le Grand-Nord, l’Alberta et la Colombie-Britannique formant chacune une région, et l’Ontario et le Québec divisés en trois et deux régions. Cette approche est jugée plus équitable pour les régions même si elle réduit généralement la proportionnalité globale. MAIS cette présentation a fait comme si tout le Canada ne représentait qu’une seule grosse région.
Cela met fin au « MAIS ». Bien que le simulateur utilise par défaut un schéma régional (sauf pour l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon), il commence tout de même par identifier les partis admissibles aux sièges régionaux, puis détermine les sièges locaux et régionaux une région à la fois. Il était plus simple d’expliquer comment le simulateur effectue ses calculs sans mentionner tout de suite le fait qu’il effectue une boucle par région. Et vous pouvez toujours lui demander de ne pas appliquer de schéma régional si vous êtes curieux de voir la différence. En fait, ne pas appliquer de schéma régional — c’est-à-dire effectuer une boucle unique et continue de calculs — donnerait presque toujours une proportionnalité quasi parfaite. Cependant, comme aucun système de RP proposé au Canada (sauf pour l’Île) n’a été conçu ainsi, exécuter le simulateur de cette manière n’est qu’un exercice théorique, à peine meilleur que la simple application de la règle de trois, le seul avantage étant la possibilité de fixer un seuil minimal.
Alors, compte tenu de cette dimension régionale, si le Parti vert s’était qualifié lors de ces élections, ses sièges régionaux auraient probablement été en Colombie-Britannique plutôt que dans les Prairies ou au Québec. Mais comme dans tous les SPM proposés au Canada, le simulateur cesse d’attribuer des sièges régionaux une fois le quota atteint, même si la proportionnalité n’a pas encore été atteinte. Voila pourquoi un trop grand nombre de petites régions nuit à l’efficacité de cet exercice, car même si cela réduirait quelque peu l’écart entre les pourcentages de votes et de sièges, cela permettrait à peine d’atteindre une proportionnalité beaucoup plus proche.
Quand même ! Ne serait-ce pas bien mieux que ce que nous donne le scrutin uninominal majoritaire à un tour ?
Donc allez-y ! Amusez-vous avec le simulateur.