Le bilinguisme revient comme enjeu électoral
(ou est-ce plus que ça ?)

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

L’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick a été créée en juin 2010 en opposition au projet du gouvernement libéral de vendre Énergie NB à Hydro Québec, et au Parti progressiste-conservateur, jugé une opposition manquant de crédibilité. Le parti réclamait un « gouvernement de bon sens » et l’abolition du Commissariat aux langues officielles, dont les res­pon­sa­bi­lités seraient transférées au bureau de l’ombudsman provincial. En ce sens, il modifiait mais faisait écho aux positions politiques autrefois tenues par le Parti de la Confédération des régions, ou CoR, durant les années 1990.

L’Alliance n’a présenté que 14 candidat·e·s aux générales tenues en septembre et n’a pas connu grand succès, n’obtenant que 1,17% des voix à l’échelle provinciale et n’empêchant pas les PC de former un gouvernement majoritaire de 15 sièges. Mais elle revenue à la charge en 2014, cette fois avec 18 candidat·e·s, et a augmenté sa part du vote populaire de 1%.

Les libéraux ont formé un gouvernement majoritaire, mais quoiqu’ils aient obtenu 22 089 voix de plus que l’Alliance et les PC réunis, leur majorité n’était que de trois sièges. Bien que l’Alliance n’ait remporté aucun siège, l’appui qu’elle avait reçu avait-t-il privé les PC du gouvernement ?

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 4 différences.

La réponse est OUI, les forces conservatrices auraient formé le gouvernement. Elles auraient eu une majorité d’un seul siège et l’élection en aurait été une du « mauvais gagnant ». Ainsi, on peut soutenir que les votes obtenus par l’Alliance, aussi peu nombreux qu’ils étaient, sont autant à blâmer que l’augmentation de 8% du vote populaire pour les libéraux par rapport aux élections générales précédentes.

C’est une généralisation mais, depuis au moins le milieu du XXe siècle, les Acadien·ne·s appuyent plus les libéraux que le font les anglophones. Entre 2010 et 2022, la présence de l’Alliance dans le paysage politique du Nouveau-Brunswick avait renforcé cet adage. Si à l’époque on avait tracé une diagonale du nord-ouest au sud-est de la province, on aurait remarqué que la moitié nord majoritairement francophone était fortement rouge libéral, alors que l’inverse était vrai pour la moitié sud majoritairement anglophone. La fracture linguistique au Nouveau-Brunswick était plus forte que jamais.

Quoique la montée du soutien au Parti vert lors des générales de 2018 ait ajouté une nouvelle dimension au paysage politique, l’augmentation de près de 500% du soutien à l’Alliance par rapport aux élections précédentes a incontestablement compliqué les choses à la droite du spectre.

Le soir des élections, le premier ministre Brian Gallant s’est présenté devant les caméras pour déclarer victoire, quoique mitigée : son parti avait remporté 22 sièges contre 21 pour les PC. Mais pendant qu’il parlait, ces chiffres ont basculé : les PC en avaient 22 et les libéraux 21, et ils n’ont pas changé une fois tous les votes comptés. S’appuyant sur le fait que son parti avait remporté le vote populaire et formait déjà le gouvernement, Gallant a tenté de former un gouvernement et de conserver la confiance de l’assemblée, soit vote par vote, soit avec l’accord des petits partis, mais il a été presque immédiatement renversé lors d’un vote de confiance sur son discours du Trône. Blaine Higgs a ensuite été appelé à former le gou­ver­ne­ment, que le chef de l’Alliance, Kris Austin, a officieusement accepté d’appuyer d’un projet de loi à l’autre pendant 18 mois.

Mais tout ce drame politique n’aurait-il pas pu être évité si l’Alliance et les PC s’étaient unis avant les êlections ?

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 7 différences.

Bien sûr que cela aurait évité tout ce gâchis ! Des quatre comtés que les libéraux ont remportés grâce au partage des voix, trois leur sont allés avec des pluralités très minces : 244 dans Carleton-Victoria, 261 dans Fredericton Nord, et 10 dans Saint John Harbour. Au lieu d’avoir une majorité de +1, le gouvernement Higgs aurait eu une majorité de +5.

Mais que le gouvernement ait été formé immédiatement ou au second essai, comme ce fut le cas, 2018 a marqué un creux dans les relations avec la communauté acadienne. Après les élections, les représentant·e·s de 14 associations acadiennes et 19 maires de municipalités francophones ont critiqué l’Alliance pour ses positions « anti-francophones et anti-égalité », jugeant le parti « infréquentable ».

Le fragile gouvernement Higgs l’est devenu encore plus lorsque le député PC Greg Thompson est décédé en septembre 2019, et que le vice-premier ministre Robert Gauvin a démissionné du parti en février 2020 en raison de ses propositions de réforme en santé, qui comprenaient la fermeture le soir de six salles d’urgence dans la province. Le gouvernement devait faire face à son prochain vote de confiance en mars 2020 sur son budget mais, encore une fois, alors COVID ! Tous les partis ont décidé de coopérer entre eux pour éviter des élections au printemps. Mais à l’été, après plusieurs semaines d’un taux relativement faible de cas de COVID, Higgs, affirmant avoir échoué dans ses négociations avec les autres partis pour éviter des élections avant la date fixe en 2022 ou la fin de la pandémie, a déclenché des élections éclair.

On pourrait dire que le gouvernement PC a été récompensé pour sa gestion de la pandémie par rapport aux autres provinces. Par contre, quoique l’Alliance ait perdu un de ses sièges au profit des PC, sa présence a-t-elle encore permis à des libéraux en comtés anglophones d’arriver en tête ?

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 3 différences.

Oui, la présence de l’Alliance a permis à UNE libérale de passer. Cependant, ce n’est plus vraiment le sujet. L’héritage de l’Alliance a été de recréer au Nouveau-Brunswick le contraste marqué gauche-droite qui était jusqu’à présent plus typique des provinces de l’Ouest. Ainsi, trois points bien plus significatifs que le partage des voix doivent être retenus à ce stade.

1. Bien que l’Alliance n’ait remporté que deux sièges, l’un d’eux était celui où Kevin Vickers se présentait. C’est important dans la mesure où il était le chef du Parti libéral.
    
2. Cette libérale qui a passé, Lisa Harris dans Miramichi Bay/Néguac, a démissionné en août 2021 pour se présenter pour les libéraux fédéraux dans le comté de Miramichi—Grand Lake, tout comme le député PC de longue date dans le comté voisin de Southwest Miramichi-Bay du Vin, Jake Stewart, pour les conservateurs fédéraux. Elle a perdu. Il a gagné. Le comté provincial de Harris a ensuite été occupé par un député PC de l’époque Lord, Réjean Savoie, alors que le remplaçant dans le comté de Stewart était aussi un PC (soit le débutant Michael Dawson).
    
3. En mars 2022, les élus de l’Alliance, Kris Austin et Michelle Conroy, ont déenregistré l’Alliance et ont officiellement rejoint les PC. Par contre, le député de l’Alliance défait en 2020, Richard DeSaulniers, est devenu son chef par intérim et l’a réenregistré en mai.

Ce troisième point est particulièrement significatif si l’on considère qu’en 1989, le premier ministre Higgs s’était présenté à la cheffrie du CoR, le prédécesseur de l’Alliance. Même s’il prétendait que sa position sur le bilinguisme avait évolué, il était devenu évident, à en juger par ses actions au gouvernement, que sa nouvelle position n’était pas si éloignée de celle qu’occupaient Austin et Conroy. Et sur les questions sociales, Austin, Conroy et Higgs étaient bien alignés. On peut donc soutenir que l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick a accompli ce que le Parti CoR n’a pas pu : déplacer les PC provinciaux vers la droite, tout en semant la discorde entre les communautés linguistiques.

Ce virage à droite est devenu particulièrement évident dans la seconde moitié du deuxième mandat de Higgs — trop pour une ministre clé, Dorothy Shephard, et pour plusieurs membres du caucus PC de la région de Saint-Jean, qui soit n’ont pas terminé leur mandat, soit ne se sont pas pré­sen­té·e·s aux générales de 2024. Et peut-être trop aussi pour l’électorat des trois grandes villes du sud du Nouveau-Brunswick, en particulier la région de Saint-Jean qui a radicalement basculé vers les libéraux et a même renversé Higgs dans son propre comté de Quispamsis.

En regardant superficiellement les résultats ci-dessus, on pourrait conclure que l’Alliance est tout simplement tombé dans l’insignifiance en 2024 comme l’avait fait le CoR en 1999. Mais bien que le CoR n’a été qu’un feu de paille, l’impact qu’a eu l’Alliance a été profond.

Faytene Grasseschi, la candidate PC dans Hampton-Fundy-St. Martins, est devenue emblématique du virage de ce parti. Elle a été battue de peu par John Herron, un ancien député fédéral PC qui est mal à l’aise depuis 2001 avec le virage prononcé vers la droite du mouvement conservateur dans son ensemble au Canada. Alors maintenant, la question est la suivante : les PC du Nouveau-Brunswick maintiendront-ils le cap malgré cette cuisante défaite, ou renverseront-ils la transformation que l’Alliance leur a apportée ?

Et revenons au bilinguisme au Nouveau-Brunswick : il semble que ceuxes qui continuent d’avoir un problème avec le bilinguisme résident presque toujours dans l’extrême droite. Mais lorsque le conservateur centriste Richard Hatfield a formé son quatrième gouvernement majoritaire PC en 1982, il l’a fait en embrassant pleinement la communauté acadienne. Alors, si les PC du Nouveau-Brunswick choisissent de maintenir le cap, comptent-ils uniquement sur l’inévitable usure du pouvoir des libéraux après quelques années pour revenir au pouvoir ?

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