Base → Élections → Partages des voix historiques → Fédéral: Le Grand Schisme :  PCC  ↔  REF  AC 

La vilaine scission de la Droite

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

En 1968, la Trudeaumanie ramène les libéraux au pouvoir avec leur premier mandat majoritaire depuis les années Louis St-Laurent. Alors que le Canada atlantique y était imperméable et favorisait fortement les conservateurs, même l’Ouest s’est laissé emporter, au point où quatre libéraux ont été élus en Alberta et deux en Saskatchewan. Mais aux élections de 1972, la lune de miel était bien terminée. Au cours des années 1970, le Canada atlantique a progressivement dérivé vers les libéraux, alors que l’Ouest est revenu à sa tendance à soutenir massivement le centre-droit. Après une série de mesures politiques considérées comme allant à l’encontre de ses intérêts économiques et un ressentiment persistant à propos de l’apparition de l’anglais et du français sur ses boîtes de céréales, l’Ouest s’est senti de plus en plus aliéné du reste du pays.

Le point de bascule décisif dont les échos se font encore entendre au XXIe siècle a été l’imposition du Programme énergétique national en 1980. Mais, faute d’une alternative viable de centre-droite, l’Ouest a continué à contrecœur de voter pour les progressistes-conservateurs, les voyant comme la moins mauvaise option. C’était jusqu’à ce que Preston Manning fonde le Parti réformiste du Canada à la fin de 1987. Présentant seulement 72 candidats dans l’Ouest lors des élections de 1988, le parti n’a pas connu grand succès lors d’une élection dominée par un seul enjeu : le libre-échange avec les États-Unis. Mais au cours des années suivantes, de nombreux débats constitutionnels acrimonieux (et ratés), et un sentiment croissant que l’Ontario et le Québec dominaient le discours politique aux dépens de l’Ouest, ont mené le Parti réformiste à se bâtir une base solide à temps pour les élections de 1993, et le schisme à la droite de l’échiquier politique canadien a commencé avec vengeance. Les luttes intestines ont duré une décennie, et les libéraux en ont profité en remportant trois gouvernements majoritaires d’affilée.

Commençons donc par 1993, qui a vu les élections générales fédérales les plus marquantes de la fin du XXe siècle. Deux des trois grands partis se sont effondrés. Avant ces élections, le NPD détenait le plus de sièges qu’il n’avait jamais eu au Parlement, mais surtout, les PC étaient au pouvoir avec une confortable majorité. Mais ces partis n’ont pas pu remporter les 12 sièges requis pour conserver leur statut de parti officiel aux Communes.

Canada

35 → 1993 :: 25 oct 1993 —  1 jun 1997 — Majoritaire  PLC  Sommaire Gouvernement Opposition Votes perdus Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes # % % # # % % # # % Parlement: 35    Majoritaire Majorité=148  Maj.Ab.: +30  Maj.G.: +59 Population [1993]: 28,600,864 (est.) Éligible: 19,814,718  Particip.: 69.96% Votes: 13,862,010  Perdus: 662,449 Sièges: 295   1 siège = 0.34% ↳ Sys.élec.:  SMU: 295   ↳ Sans opposition: 0 (0.00%) Pluralité: Votes  PLC  Sièges  PLC  Pluralité: ↳ +3,088,707 (+22.60%) Pluralité: ↳ Sièges: +123 (+41.69%) Position2: Votes  REF  Sièges  BQ  Candidatures: 2,156 (✓ 295)   m: 1,678 (✓ 242)   f: 478 (✓ 53)  PLC  295   BQ  75   REF  207   NPD  294   PCC  295   IND  152   PVC  79   AUT  759    PLC  5,647,952 41.32 60.00 177  BQ   REF   NPD   PCC   IND  1,846,024 2,559,245 939,575 2,186,422 20,343 13.51 18.72 6.87 16.00 0.15 18.31 17.63 3.05 0.68 0.34 54 52 9 2 1  IND   PVC   AUT   REJ   ABS  89,050 32,979 346,081 194,339 5,952,708 0.65 0.24 2.53 1.40 ——  AUT  →  PN  171   PLN  231   PHC  59   LBT  52   ABOL  80   CAN  56   CWC  59   ML  51  !!!  99 (33.56%)

Les libéraux de Jean Chrétien ont évidemment mieux performé que tout autre parti, mais derrière leur majorité de 30 sièges se cachait le fait qu’ils n’avaient obtenu que 41,32% du vote populaire à l’échelle du pays. Cela pouvait difficilement être qualifié d’histoire d’amour massive, bien qu’ils étaient rapides à mentionner qu’ils étaient représentés d’un océan à l’autre à l’autre. Mais aussi impressionnant qu’ait été leur balayage de tous les sièges ontariens sauf un, combien de ceux-ci devaient-ils au partage des voix entre les PC ravagés et les réformistes naissants ?

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 99 différences.

En effet, le partage des voix a donné 43 sièges aux libéraux, dont plus de la moitié (24) en Ontario. Et aussi triste que la performance des néo-démocrates ait été, ils ont eux aussi profité du partage des voix dans l’Ouest. Ils auraient été réduits à seulement cinq sièges si la droite avait été unie, et l’un d’eux n’aurait PAS été celui de Svend Robinson !

Le grief selon lequel le conservatisme canadien avait été dominé par l’Est aux dépens de l’Ouest avait gagné en crédibilité en 1997. Les esprits con­ser­va­teurs de l’Est considéraient le Parti réformiste comme trop extrème, tandis que ceux de l’Ouest considéraient les progressistes-conservateurs comme trop mous. Il y avait en effet deux solitudes dans la famille conservatrice, mais chaque fois que l’une osait suggérer un rapprochement, on s’attendait à ce que ce soit à ses conditions. Les PC voulaient croire que leur fessée de 1993 n’était que le résultat de l’usure du pouvoir, et que les gens finiraient par revenir au parti de John A. Mais les réformistes croyaient qu’ils représentaient le vrai futur du conservatisme au Canada. L’histoire révélera que ces derniers avaient raison, mais il leur faudra attendre encore six ans avant de voir la fin de la scission. En 1997, la guerre civile au sein de cette famille politique rendait ses membres aveugles à la vulnérabilité des libéraux qui avaient irrité bien des gens lors de leur premier mandat.

Canada

36 → 1997 ::  2 jun 1997 — 26 nov 2000 — Majoritaire  PLC  Sommaire Gouvernement Opposition Votes perdus Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes # % % # # % % # # % Parlement: 36    Majoritaire Majorité=151  Maj.Ab.: +5  Maj.G.: +9 Population [1997]: 29,818,012 (est.) Éligible: 19,672,879  Particip.: 66.96% Votes: 13,172,106  Perdus: 380,551 Sièges: 301   1 siège = 0.33% ↳ Sys.élec.:  SMU: 301   ↳ Sans opposition: 0 (0.00%) Pluralité: Votes  PLC  Sièges  PLC  Pluralité: ↳ +2,481,197 (+19.11%) Pluralité: ↳ Sièges: +95 (+31.57%) Position2: Votes  REF  Sièges  REF  Candidatures: 1,672 (✓ 301)   m: 1,262 (✓ 239)   f: 410 (✓ 62)  PLC  301   REF  227   BQ  75   NPD  301   PCC  301   IND  76   PVC  79   AUT  312    PLC  4,994,277 38.46 51.50 155  REF   BQ   NPD   PCC   IND  2,513,080 1,385,821 1,434,509 2,446,705 17,163 19.35 10.67 11.05 18.84 0.13 19.93 14.62 6.98 6.64 0.33 60 44 21 20 1  IND   PVC   AUT   REJ   ABS  43,596 55,583 95,140 186,232 6,500,773 0.34 0.43 0.73 1.41 —— Différence depuis les dernières élections générales: +6 sièges  AUT  →  PLN  136   PHC  53   ACT  58   ML  65  !!!  177 (58.80%)

Le soir des élections, lorsque les résultats arrivaient du Canada atlantique, nombreux devaient être les libéraux qui serraient leurs perles. Ils avaient remporté les 32 sièges de la région sauf un en 1993, le seul résistant étant un des deux sièges que les PC avaient préservés, soit celui d’Elsie Wayne à Saint John. Mais en 1997, ils quittaient la région avec seulement 11 sièges — cinq grâce au partage des voix et deux de moins que les PC, mais trois de plus que — putain ! — le NPD. La soirée risquait d’être très longue !

Puis, des signes encourageants ont émergé du Québec. Le Bloc Québécois était encore fort mais est tombé à 44 sièges contre ses 52 en 1993, et les libéraux gagnaient le vote populaire. Les PC se sentaient également encouragés, remportant quatre sièges en plus de celui de leur chef. De plus, la « Forteresse Ontario » tenait bon. Mais quelle part de cela était due au partage des voix ?

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 102 différences.

La Forteresse Ontario était en partie un château de cartes parce que, des 38 sièges que les libéraux ont remportés grâce au partage des voix, 28 s’y trouvaient. Pour sa part, le NPD en a remporté quatre de cette manière : deux en Nouvelle-Écosse, un en Saskatchewan, et celui du Yukon. Par contre, ce qui saute aux yeux, c’est que la famille conservatrice aurait formé un gouvernement minoritaire, quoique extrêmement faible. Mais un gouvernement « majoritaire » avec 38.46% du vote populaire ? Quelle chance !

Aux générales de 2000, un certain mouvement s’était produit depuis 1997, en ce sens que les réformistes, bien plus représentés aux Communes que les progressistes-conservateurs, avaient compris qu’ils devaient être les instigateurs d’une union de la droite. Ils avaient espéré que se rebaptiser l’Alliance canadienne attirerait des sympathisant·e·s du centre-droit dans l’Est, mais l’ancien premier ministre Joe Clark, qui était revenu en politique pour diriger les PC, semblait considérer cette tentative comme une présentation d’un loup dans la peau d’un mouton, et a ainsi maintenu le cap avec son parti. Preston Manning ayant échoué à se faire nommer chef de l’Alliance, Clark a donc dû confronter Stockwell Day à sa droite et Jean Chrétien à sa gauche. Cette discorde convenait au Parti libéral, et faisait sembler sa lutte interne pour que Paul Martin remplace Chrétien comme un simple désaccord. L’encre à peine sèche sur les documents de certification de l’Alliance, Chrétien a déclenché des élections anticipées et la droite est restée confinée à l’opposition.

Canada

37 → 2000 :: 27 nov 2000 — 27 jun 2004 — Majoritaire  PLC  Sommaire Gouvernement Opposition Votes perdus Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes # % % # # % % # # % Parlement: 37    Majoritaire Majorité=151  Maj.Ab.: +22  Maj.G.: +43 Population [2000]: 30,594,030 (est.) Éligible: 21,211,657  Particip.: 61.27% Votes: 12,997,149  Perdus: 429,654 Sièges: 301   1 siège = 0.33% ↳ Sys.élec.:  SMU: 301   ↳ Sans opposition: 0 (0.00%) Pluralité: Votes  PLC  Sièges  PLC  Pluralité: ↳ +1,975,063 (+15.36%) Pluralité: ↳ Sièges: +106 (+35.21%) Position2: Votes  AC  Sièges  AC  Candidatures: 1,808 (✓ 301)   m: 1,436 (✓ 239)   f: 372 (✓ 62)  PLC  301   AC  298   BQ  75   NPD  298   PCC  291   PVC  111   AUT  348   IND  86    PLC  5,251,978 40.85 57.14 172  AC   BQ   NPD   PCC  3,276,915 1,377,727 1,093,853 1,567,022 25.49 10.72 8.51 12.19 21.93 12.62 4.32 3.99 66 38 13 12  PVC   AUT   IND   REJ   ABS  104,422 130,789 55,031 139,412 8,214,508 0.81 1.02 0.43 1.07 —— Premières élections générales comprenant le nouveau territoire du Nunavut.  PCC  Dernières élections générales pour le Parti conservateur du Canada original.  AC  Seules élections générales pour ce parti (ancien Parti réformiste et futur Parti conservateur du Canada).  AUT  →  BP  73   ACT  70   PLN  69   ML  84   COMM  52  !!!  239 (79.40%)

Certes les libéraux avaient fait mieux qu’en 1997, avec 2% de plus du vote populaire. Mais la transformation des réformistes en Alliance cana­dienne avait échoué en Ontario, et les PC avait perdu du terrain par rapport à 97, mais au moins ils avaient réussi à con­ser­ver (à peine) leur statut de parti officiel aux Communes. Alors, quel rôle le partage des voix a-t-il joué cette fois-ci pour donner aux libéraux leur troisième gouvernement majoritaire ?

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 102 différences.