Comment le NPD est arrivé au pouvoir en Alberta
(De tous les endroits !)

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

Lorsque les sondeurs albertains examinaient leurs données à la veille des élections de 2015, beaucoup devaient se frotter les yeux. Certains se sont peut-être même demandé s’ils ne voyaient pas un cochon voler par leur fenêtre. Ce devait être une blague, parce que comment le NPD pouvait-il être autant en tête dans les sondages... en Alberta ?

À tous égards, l’Alberta est l’une des provinces les plus conservatrices du Canada, sinon la plus conservatrice. Envoyant fidèlement des listes de député·e·s de centre-droit à Ottawa, elle a été gouvernée au provincial par des partis de centre-droit depuis 1935 : le Crédit social de 1935 à 1971, et les progressistes-conservateurs de 1971 à ce point. La plus grande opposition est survenue lors de la 23e assemblée de 1993 à 1997, lorsque les PC faisaient face à 32 membres du Parti libéral dans une législature de 83 membres à l’époque.

Et à vrai dire, les partisan·e·s du NPD albertain étaient probablement aussi incrédules. Comme nous toustes, y compris les sondeurs, lels s’étaient habitué·e·s aux effets de notre système uninominal majoritaire, dans lequel un soutien de 25% pouvait rapporter seulement une poignée de sièges, voire aucun. De plus, lels s’étaient habitué·e·s à la dynastie conservatrice qui semblait éternelle.

Comme les résultats de 2015 le montrent, peu importe la campagne que le NPD a menée, deux facteurs sont survenus au bon moment pour eux.

1. La division de la droite, comme il y en avait eu dans tout le Canada jusqu’à une décennie plus tôt
2. L’apathie de l’électorat, comme en témoigne le faible taux de participation

Avant 2015, le pourcentage le plus élevé du vote populaire que le NPD de l’Alberta avait obtenu était de 29,22% en 1986. Cependant, il ressort également des résultats de 2015 que le soutien combiné au Wildrose et aux progressistes-conservateurs était de près de 12% supérieur à celui du NPD. La question est donc évidente : « Combien de sièges exactement le NPD a-t-il remportés grâce au partage des voix ? »

Pour trouver la réponse :

Ainsi on peut constater qu’il y aurait eu 50 différences.

Donc, si le NPD n’avait pas remporté 29 sièges par le partage des voix, il n’en aurait remporté que 25. Autrement dit, il n’aurait remporté que 28,73% des sièges (au lieu des 62,07% qu’il a obtenus), tandis qu’un parti conservateur uni aurait eu 68,97% des sièges, soit 60. Inhérent au SMU est sa « volonté » de céder des majorités certaines, qu’elles soient justes ou non.

Les racines du conservatisme canadien tel qu’il existe aujourd’hui se trouvent en grande partie en Alberta, et comme les gens d’esprit conservateur ne voulaient pas répéter au provincial ce qui s’était passé au fédéral plus d’une décennie auparavant, ils se sont rapidement regroupés pour former le Parti conservateur uni de l’Alberta en 2017. On peut donc affirmer que, tout comme les Réformistes/Alliancistes ont absorbé les PC, le Wildrose en a fait de même avec les PC albertains. Et l’effet a été constaté immédiatement aux générales de 2019.

Mais quelques observations et arguments s’imposent de là.

1. À première vue des résultats de ces élections en SMU, on pourrait conclure que le NPD a été sévèrement battu. Mais en comparant le nombre de sièges qu’il aurait dû gagner en 2015 à celui qu’il a remporté en 2019, une observation plus juste serait qu’il a réussi à garder sa base.
    
2. Tout comme l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick a déplacé le spectre politique de cette province vers la droite et contribué à rendre le populisme plus courant, il en va de même pour le Wildrose en Alberta.
    
3. Le Parti libéral albertain est le principal dommage collatéral de ce virage, puisqu’il a été décimé. Il a formé les quatre premiers gouvernements de la province, mais la dernière fois qu’il a formé l’opposition officielle était en 2008. Quinze ans plus tard, si le parti ne peut pas encore être déclaré mort, on pourrait certainement dire qu’il est sur un respirateur artificiel.
    
4. Les néo-démocrates albertains ont également été tirés par ce virage, les plaçant davantage au centre qu’à gauche, comblant ainsi le vide laissé par les libéraux.
    
5. Pour appuyer cette affirmation, je vous offre ci-dessous les résultats des générales de 2023 — le meilleur résultat en termes de votes que le NPD de l’Alberta ait jamais obtenu. Il y a eu des courses très serrées, surtout à Calgary, mais il a remporté ses 38 sièges sans équivoque — aucun partage des voix ne leur a donné un coup de main.

Le temps nous le dira, mais le NPD a-t-il atteint son apogée dans cette Alberta profondément conservatrice ? S’il ne pouvait pas battre une première ministre controversée ayant des propos très libertariens (pour ne pas dire des théories du complot carrément folles), de quoi aurait-il besoin pour former un autre gouvernement, sans l’aide de luttes intestines parmi ses opposants ?

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