L'histoire électorale du Canada de 1867 à aujourd'hui

Nouveau-Brunswick, années 90 : fracture linguistique à la droite

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

Scénarios alternatifsLe 13 octobre 1987, après quatre gouvernements majoritaires consécutifs, le Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick de Richard Hatfield a subi un sort qu'un seul autre gouvernement sortant du Common­wealth bri­tan­nique avait subi. Non seulement avait-il été exclu de l'assemblée, mais le vainqueur — le Parti libéral de Frank McKenna — avait remporté tous les sièges. La seule autre fois qu'une législature avait été formée sans oppo­si­tion était le 23 juillet 1935, lorsque les libéraux de l'Île-du-Prince-Édouard avait réussi le même exploit aux dépens des conservateurs de cette province. Ainsi a commencé une décennie difficile pour les progressistes-conservateurs et le centre-droit du Nouveau-Brunswick.

On peut affirmer que, des années 1950 aux années 1980, l'écart entre le centre-gauche et le centre-droit était plus étroit qu'il ne l'est aujourd'hui. Cependant, une polarisation a commencé dans les années 80 entre la droite progressiste — les « Red Tories » — et la plus socialement conservatrice — les « Blue Tories ». Ces derniers dénonçaient comment les gouvernements, à leur avis, avaient dégénéré au paternalisme, et beaucoup n'étaient pas chaleureux (pour dire le moindre) quant à la façon dont le bilinguisme anglais et français avait été imposé à la fin des années 60.

Le bilinguisme a toujours été controversé au Nouveau-Brunswick, où le tiers de la population est francophone, une communauté qui, jusque dans les années 60, était défavorisée par rapport à la majorité anglophone. Le Nouveau-Brunswick des années 60 et 70 était, après tout, celui où le maire de la deuxième plus grande ville à l'époque s'opposait vertement au bilinguisme dans toutes les sphères de la vie publique, même si la démographie de la ville reflétait celle de la province. Pas surprenant que la dissidence qui a fait surface à la droite dans les années 80 concernait le bilinguisme...

L'inévitable introspection a commencé à la droite après son humiliation de 1987, mais l'improbable s'est ensuite produit. Dans l'Ouest canadien, le Parti de la Confédération des régions, ou CoR, s'était séparé du Parti créditiste. Mais après que ce parti ait connu un succès modeste mais encou­rageant au Nouveau-Brunswick aux fédérales de 1988, Arch Pafford a formé une aile provinciale l'année suivante. Se présentant aux élections de 1991 à la droite des PC, le CoR plaidait pour l'abrogation de la Loi (fédérale) sur les langues officielles de 1969 et proposait de fournir des services gouvernementaux en français uniquement dans les régions à forte population francophone. Les libéraux étaient restés populaires à la fin de leur premier mandat mais, à la surprise de plusieurs, les élections ont fait du CoR l'opposition officielle.

Nouveau-Brunswick Nouveau-Brunswick
52 → 1991 :: 23 sep 1991 — 10 sep 1995 — Majoritaire Majoritaire  LIB 
Sommaire Gouvernement Opposition Votes non-productifs
Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes
# % % # # % % # # %
Parlement: 52   Majoritaire Majoritaire
Majorité=30  Maj.Ab.: +17  Maj.G.: +34
Population [1991]: 723,900
Éligible: 518,011  Particip.: 80.06%
Votes: 414,728  Non-productifs: 3,988
Sièges: 58   1 siège = 1.72%
↳ Sys.élec.:  SMU: 58  
↳ Sans opposition: 0 (0.00%)
Pluralité: Votes  LIB  Sièges  LIB 
Pluralité:  +106,634 (+25.91%)
Pluralité:  Sièges: +38 (+65.52%)
Position2: Votes  COR  Sièges  COR 
Candidatures: 224 (✓ 58)   m: 172 (✓ 48)   f: 52 (✓ 10)
 LIB  58   COR  48   PC  58   NPD  58   IND  2  
LIB
193,890 47.11 79.31 46
COR
PC
NPD
87,256
85,210
44,384
21.20
20.70
10.78
13.79
5.17
1.72
8
3
1
IND
REJ
ABS
850
3,138
103,283
0.21
0.76
——
 !!!  5 (8.62%)

Mais que se serait-il passé si la droite ne s'était pas scindée ? Et si, au lieu, Pafford et ses partisan·e·s avaient réussi à entraîner les progressistes-conservateurs dans leur façon de penser et s'étaient présenté·e·s sous cette seule bannière ?

Pour trouver la réponse :

  1. Considérons  COR  le parti causant le partage des voix et  PC  celui qui en est affecté.
  2. Écartons les 28 comtés où la personne élue :
    • avait une nette majorité (50%+1) et représentait ni  COR  ni  PC 
    • ou représentait  PC  et n'a donc pas été affecté par le partage des voix,
    ce qui nous laisse 30 comtés.
  3. Transférons les votes reçus par  COR  à  PC  si ce dernier n'avait pas déjà gagné le comté.
  4. Recalculons les résultats dans chacun de ces 30 comtés pour trouver ceux où le parti victorieux aurait été différent.

Ainsi on peut constater qu'il y aurait eu 24 différences.

Sièges gagnés à cause du partage des voix    LIB  16    Sièges gagnés par le parti gâcheur   COR  8
Comté Alternative LIB COR PC NPD IND        
Élection → 46 8 3 1 0
Détails
NB
Transfert
Beverly M. Brine +687 (41.00%)
 COR   PC    7 4            
NB
 PC  COR  +581 (54.90%)
Allison W. DeLong +700 (42.95%)
 LIB   PC  45   5            
NB
 PC  COR  +726 (56.25%)
B. Fred Harvey +131 (42.11%)
 LIB   PC  44   6            
NB
 PC  COR  +464 (51.86%)
Bruce A. Smith +426 (43.64%)
 LIB   PC  43   7            
NB
 PC  COR  +49 (47.04%)
L. Reid Hurley +719 (45.79%)
 LIB   PC  42   8            
NB
Transfert
Edwin G. Allen +2,188 (49.29%)
 COR   PC    6 9            
NB
 PC  COR  +1,286 (48.70%)
Russell H.T. King +1,289 (38.03%)
 LIB   PC  41   10            
NB
 PC  COR  +2,242 (55.90%)
Georgie M. Day +129 (32.04%)
 LIB   PC  40   11            
NB
 PC  COR  +858 (47.85%)
E. Laureen Jarrett +2,409 (42.05%)
 LIB   PC  39   12            
NB
 PC  COR  +2,242 (62.48%)
John B. McKay +10 (33.45%)
 LIB   PC  38   13            
NB
Transfert
Albert M. (Ab) Rector +161 (40.17%)
 COR   PC    5 14            
NB
 PC  COR  +170 (51.02%)
Doug Tyler +86 (46.47%)
 LIB   PC  37   15            
NB
 PC  COR  +338 (51.12%)
Vaughn Blaney +338 (41.94%)
 LIB   PC  36   16            
NB
Transfert
Gordon B. Willden +24 (35.14%)
 COR   PC    4 17            
NB
 PC  COR  +1,225 (46.46%)
George J. Jenkins +135 (32.27%)
 LIB   PC  35   18            
NB
 PC  COR  +1,688 (55.57%)
Stuart Jamieson +180 (31.52%)
 LIB   PC  34   19            
NB
 PC  COR  +147 (41.64%)
Leo A. McAdam +803 (38.64%)
 LIB   PC  33   20            
NB
 PC  COR  +503 (45.08%)
P. Jane Barry +1,056 (39.46%)
 LIB   PC  32   21            
NB
Transfert
Brent Taylor +156 (44.45%)
 COR   PC    3 22            
NB
 PC  COR  +107 (49.91%)
G. Ann Breault +691 (47.14%)
 LIB   PC  31   23            
NB
Transfert
Max White +1,319 (51.40%)
 COR   PC    2 24            
NB
 PC  COR  +390 (50.64%)
Larry R. Kennedy +1,190 (44.55%)
 LIB   PC  30   25            
NB
Transfert
Gregory J. Hargrove +1,638 (50.06%)
 COR   PC    1 26            
NB
Transfert
Daniel E. Cameron +853 (43.94%)
 COR   PC    0 27            
Redistribution → 30 0 27 1 0

Le résultat a été que 16 libéraux de plus que ce à quoi on aurait pu s'attendre sont arrivés en tête. Il était également clair que les pro­gres­sistes-conservateurs ne s'étaient pas encore remis de leur cuisante défaite quatre ans plus tôt, remportant que trois sièges mais réussissant à ravir juste assez du vote populaire pour obtenir le statut de parti officiel à l'assemblée. Mais si les PC et le CoR avaient été un seul parti, la répartition des sièges aurait été un mélange traditionnel pour le Nouveau-Brunswick, les libéraux obtenant toujours une majorité mais de seule­ment deux sièges.

L'inexpérience législative des membres du CoR et les luttes intestines au sein de leur parti ont fait d'eux une opposition inefficace. Ces facteurs ont aidé les PC à banir le CoR de l'assemblée lors des élections de 1995, mais le désarroi au sein de ce dernier avait déteint sur toute la droite, conduisant les libéraux à être encore plus populaires et à remporter leur troisième majorité consécutive.

Nouveau-Brunswick Nouveau-Brunswick
53 → 1995 :: 11 sep 1995 —  6 jun 1999 — Majoritaire Majoritaire  LIB 
Sommaire Gouvernement Opposition Votes non-productifs
Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes
# % % # # % % # # %
Parlement: 53   Majoritaire Majoritaire
Majorité=28  Maj.Ab.: +21  Maj.G.: +41
Population [1995]: 750,692 (est.)
Éligible: 517,132  Particip.: 76.04%
Votes: 393,250  Non-productifs: 34,274
Sièges: 55   1 siège = 1.82%
↳ Sys.élec.:  SMU: 55  
↳ Sans opposition: 0 (0.00%)
Pluralité: Votes  LIB  Sièges  LIB 
Pluralité:  +80,903 (+20.76%)
Pluralité:  Sièges: +42 (+76.36%)
Position2: Votes  PC  Sièges  PC 
Candidatures: 226 (✓ 55)   m: 179 (✓ 46)   f: 47 (✓ 9)
 LIB  55   PC  55   NPD  55   COR  36   AUT  17   IND  8  
LIB
201,150 51.63 87.27 48
PC
NPD
120,247
37,579
30.87
9.65
10.91
1.82
6
1
COR
AUT
IND
REJ
ABS
27,684
1,267
1,635
3,688
123,882
7.11
0.33
0.42
0.94
——
Différence depuis les dernières élections générales: -3 sièges
 AUT  PLN  17
 !!!  9 (16.36%)

Certains progressistes-conservateurs ont probablement tenté de surmonter leur déception en interprétant ces résultats avec optimisme — ils avaient obtenu deux fois plus de sièges et augmenté leur part du vote de 50% par rapport aux générales précédentes — mais en fait les libéraux étaient encore plus forts que lors de la législature précédente. Dans quelle mesure le 7,11% des votes demeurés fidèles au CoR a-t-il nui aux PC ?

Pour trouver la réponse :

  1. Considérons  COR  le parti causant le partage des voix et  PC  celui qui en est affecté.
  2. Écartons les 31 comtés où la personne élue :
    • avait une nette majorité (50%+1) et représentait ni  COR  ni  PC 
    • ou représentait  PC  et n'a donc pas été affecté par le partage des voix,
    ce qui nous laisse 24 comtés.
  3. Transférons les votes reçus par  COR  à  PC  si ce dernier n'avait pas déjà gagné le comté.
  4. Recalculons les résultats dans chacun de ces 24 comtés pour trouver ceux où le parti victorieux aurait été différent.

Ainsi on peut constater qu'il y aurait eu 10 différences.

Sièges gagnés à cause du partage des voix    LIB  10    Sièges gagnés par le parti gâcheur   COR  0
Comté Alternative LIB PC NPD COR IND PLN      
Élection → 48 6 1 0 0 0
Détails
NB
 PC  COR  +443 (50.69%)
Harry Doyle +907 (43.91%)
 LIB   PC  47 7              
NB
 PC  COR  +81 (50.08%)
Eric Allaby +90 (46.91%)
 LIB   PC  46 8              
NB
 PC  COR  +504 (49.90%)
T. LeRoy Armstrong +44 (42.87%)
 LIB   PC  45 9              
NB
 PC  COR  +780 (51.83%)
David Olmstead +975 (41.43%)
 LIB   PC  44 10              
NB
 PC  COR  +925 (55.10%)
Hollis Steeves +725 (39.76%)
 LIB   PC  43 11              
NB
 PC  COR  +40 (41.79%)
Stuart Jamieson +184 (41.12%)
 LIB   PC  42 12              
NB
 PC  COR  +154 (47.68%)
 LIB   PC  41 13              
NB
 PC  COR  +585 (52.78%)
Larry R. Kennedy +7 (43.78%)
 LIB   PC  40 14              
NB
 PC  COR  +266 (50.07%)
G. Ann Breault +1,324 (46.08%)
 LIB   PC  39 15              
NB
 PC  COR  +439 (49.40%)
Bruce A. Smith +248 (43.61%)
 LIB   PC  38 16              
Redistribution → 38 16 1 0 0 0

En effet, cette fois, les libéraux sont passés en tête dans 10 comtés grâce au partage des voix, mais même si ces sièges étaient allés au PC, leur majorité aurait quand même été de +11 au lieu de +21. Aux générales de 1999, le CoR était tombé dans l'insignifiance : il n'a présenté que 18 candidat·e·s d'un total possible de 55, et n'a obtenu que 0,71 % du vote populaire. En fait, cette performance était si médiocre qu'elle n'a en rien empêché les PC, alors dirigés par Bernard Lord, de former le gouvernement conservateur le plus fort de la province depuis la Confédération.



© 2019, 2024 :: PoliCan.ca (Maurice Y. Michaud)
Pub.: 25 mai 2023 07:56
Rev.: 28 mai 2023 10:24 (mais données présentées dynamiquement)