par Maurice Y. Michaud (il/lui)
[Les jeunes] ont l’âme élevée, parce qu’ils n’ont pas encore été rabaissés par la pratique de la vie et qu’ils n’ont pas subi l’épreuve du besoin. De plus, rien n’élève l’âme comme de se croire digne de grandes choses ; or cette opinion est propre à celui qui a bon espoir. Ils se déterminent plutôt par le beau côté d’une action que par son utilité. Ils se conduisent plutôt d’après leur caractère moral que d’après le calcul ; or le calcul tient à l’intérêt, et la vertu à ce qui est beau. Ils ont le goût de l’amitié et de la camaraderie plus que les autres âges, parce qu’ils se plaisent à la vie commune et que rien n’est encore apprécié par eux au point de vue de l’intérêt ; par conséquent, leurs amis non plus. Leurs fautes proviennent toujours de ce qu’ils font plus et avec plus de véhémence qu’il ne convient [...] car ils exagèrent tout, l’amitié comme la haine, et tous les autres sentiments de même. Ils croient tout savoir et tranchent sur toutes choses. De là vient leur exagération en tout.— Aristote, Livre II · Chapître XII
Il semblerait que même les Grecs de l’Antiquité avaient une vision sombre des jeunes générations, donc les Baby boomers ou les Gen-X comme moi qui pensent avoir mis le doigt sur une idée nouvelle ne peuvent pas se vanter d’être originaux. Nos parents pensaient probablement de nous comme ça : les vôtres l’ont peut-être exprimé ouvertement ; les miens étaient plus subtils, mais nous le comprenions. Combien de fois ma chère mère a-t-elle commencer sa phrase avec « Je ne veux pas me mêler de tes affaires, mais... »
En 1944, l’Alberta a été la première province à abaisser l’âge du vote à 19 ans. L’année suivante, la Saskatchewan l’a abaissé à 18 ans, et d’autres provinces ont suivi durant les prochaines décennies. Le fédéral a été un des derniers à le faire en 1970. Comme une personne ayant le droit de vote est également admissible à siéger à l’assemblée pour laquelle elle vote, cela signifie qu’une personne née en 2007 aurait pu voter ou se présenter à une élection fédérale ou provinciale en 2025, ce qui pourrait choquer certain·e·s d’entre vous qui lisez cet article.
Aristote semblait dénoncer le fait que les jeunes générations étaient plus « libérales » (pour reprendre un terme moderne) et superficielles. La tendance au XXe siècle ayant été que les jeunes générations devenaient plus « permissives » et « libérales », les Boomers et les Gen-X, comme moi, ont supposé de même des Millenniaux et des Zoomers. Mais si, comme moi, une personne née en 2007 s’est intéressée à la politique vers 13 ans, cela nous amènerait à 2020. Le seul premier ministre qu’ils ont vraiment connu était Justin Trudeau, durant la pandémie de COVID-19, ses confinements et les bouleversements économiques qui ont suivi. Alors, que son gouvernement ait contribué à créer ces conditions, ou que ces conditions soient un phénomène plus large qu’aucun gouvernement n’aurait pu régler, pourquoi sommes-nous, tantes et grands-pères, si surpris de voir les jeunes générations tentées de s’opposer à une tendance centenaire et de regarder dans l’autre direction ?
La notion de générations sociales n’est pas sans critiques, comme l’étiquetage et les stéréotypes fondés sur l’âge, la non-prise en compte des gens nés aux extrémités d’une tranche générationnelle, ou les généralisations au détriment de facteurs économiques ou sociaux affectant les individus. Personnellement, je comprends très bien ces critiques. Mes frères et ma sœur sont définitivement des Baby-boomers, mais le hasard a voulu que je sois né dans la première année de la Génération X. De même, avec juste trois ans de différence, mon père était considéré de la Génération grandiose (lui, un ancien combattant de la Deuxième Guerre qui était plutôt effacé), mais ma mère de la Génération silencieuse (elle, qui était tout sauf silencieuse). Et bien que conservatrice pour l’époque, ma famille était aimante et très catholique, ce qui a influencé la façon dont j’ai dû gérer mon identité sexuelle à l’adolescence. Mais malgré ou à cause de mes différences, j’ai l’impression que mes expériences au passage à l’âge adulte dans les années ’80, avec ce qui se passait socialement, culturellement et politiquement, m’a donné une perspective différente de celle de mes frères et de ma sœur. Ils sont de la génération du Vietnam et de la Guerre froide ; je suis de celle de la chute du mur de Berlin.
Donc, cela dit, cette notion conserve une certaine valeur dans PoliCan pour comprendre les pensées et convictions des personnages politiques. Ils et elles étaient ou sont des « gens de leur génération », ce qui a influencé leur vision du monde et leurs opinions politiques, peu importe leur allégeance. Ainsi, comme le diraient la plupart des historien·ne·s, cette notion peut apporter du contexte. Les points de références sont totalement différents pour quelqu’un élevé par quelqu’un qui a vécu la Dépression des années ’30 et pour quelqu’un qui a toujours eu des ordinateurs au quotidien — comme je l’ai découvert au travail il y a quelque temps, lorsque ma paraphrase du Borg de Star Trek est tombée à plat. Quelqu’un de ma génération pourrait me dire : « Bon sang, il joue toujours la même cassette ! » et je comprendrais l’allusion, mais une Zoomer la saisirait-elle ?
En tout cas, commençons par définir les générations.