L’encyclopédie électorale du Canada

Moi, je m'appelle Maurice

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

Maurice Y. Michaud
Créateur de PoliCan.caSelon ma mère, lorsque j’ai décidé de venir au monde, je n’avais pas envie de niaiser avec ça. Mon père et elle étaient allés chez des amis de la famille pour une partie de cartes tranquille un mercredi soir. Bien des années plus tard, ma mère m’a dit qu’elle avait l’impression d’avoir un peu abusé de l’hospitalité ce soir-là, mais c’est qu’elle se sentait tellement à l’aise à la table de cuisine de nos amis, car je m’étais enfin placé dans une position plus accommodante dans son ventre de petite madame de cinq pieds. Ils ont fini par rentrer à la maison et se préparaient à aller se coucher vers minuit et demi, le 19 août 1965. Cinquante minutes plus tard, avant que le médecin n’arrive de son chalet à Shediac, au Nouveau-Brunswick, j’ai été livré par des infirmières à l’Hôtel Dieu de Moncton, aujourd’hui connu sous le nom de Dumont. Un paquet de huit livres et demie.

Mon père, Robert, était de Rivière-du-Loup, dans le Bas du Fleuve au Québec, alors que ma mère, Thérèse Laforest, nous répétait qu’elle était « native de Québec », comme pour souligner qu’elle n’avait jamais bien digéré le dé­mé­nage­ment de sa famille lorsqu’elle avait 11 ans. Par contre, mes deux frères, ma sœur et moi sommes nés et avons grandi en Acadie. Lorsque j’y vivais, les gens me pensaient Québécois, mais vivant maintenant à Montréal depuis 2008, les clients avec qui je parle au travail reconnaissent que ce n’est pas tout à fait le cas. Alors, lorsqu’on me le demande, je réponds que je suis Québécois dans les faits, mais que mon âme est acadienne. Je parle couramment le français et l’anglais, changeant parfois d’une langue à l’autre en milieu de phrase sans m’en apercevoir. Mais sans équivoque, je me considère francophone. J’ai fait mes études primaires et secondaires en français, et quoique j’aie commencé l’uni­ver­si­té en français, j’ai fini en anglais, à Halifax, avec un baccalauréat en relations publiques.

Je suis resté à Halifax après mes études et, en 1989, je suis devenu rédacteur-gérant d’Atlantis : Revue d’études sur les femmes — le travail le plus difficile et le plus gratifiant que j’aie jamais eu. Le défi négatif était d’établir la confiance et la crédibilité (un gars de 24 ans, bien qu’il soit gay, qui aide à gérer une revue sur les femmes ?). Mais le beau défi était de me retrouver à travailler dans l’édition, à éditer des textes présentant des idées et des concepts complexes, et à être entouré de mentors généreuses comme Deborah. Quatre ans à ce merveilleux poste ont été suivis de trois années décevantes comme superviseur du laboratoire de langues à Mount Saint Vincent. Cependant, cela m’a ouvert la porte vers l’enseignement à temps partiel en communication écrite pendant quatre ans — un plaisir bien que terriblement sous-payé — tout en travaillant comme éditeur pigiste.

Mes années d’enseignement ont coïncidé avec l’émergence du Web et, reconnaissant que ce nouveau média était fondamentalement basé sur le texte, j’ai réorienté mon travail de pigiste vers le développement de sites Web. Je me suis appris le PHP et le MySQL, puis développé mon propre système de gestion de contenu, appelé TextStyleM, et établi une petite base de clients dans les Maritimes. Mais même si j’adorais ce que je faisais, mon problème était que je ne suis pas un homme d’affaires. Je me retrouvais à devoir porter tous les chapeaux pour gérer l’entreprise, sans générer assez de revenus pour embaucher quelqu’un pour m’aider. Ou peut-être étais-je simplement maniaque du contrôle et ne pouvais pas lâcher prise ?

Donc fin 2005, j’ai demandé conseil à mon frère, un comptable agréé, pour trouver une solution. Parmi les idées qu’il m’a partagées, il m’a expliqué que les gens qui investissent en bourse doivent garder la tête froide et respecter des balises. « Conserve l’action à moins qu’elle passe en dessous de X ou au-dessus de Y, sans questions. » Je devais donc me fixer un objectif et une date limite pour l’atteindre, tout en préparant un plan B sur lequel je pourrais me rabattre si j’atteignais la date limite avant l’objectif. Autre­ment dit, je devais apprendre si, quand et comment je devais lâcher prise.

Le destin a voulu que j’engage le Plan B bien plus tôt que prévu — bien avant d’avoir atteint l’objectif ou la date butoir — soit un contrat d’un an au sein du service Technologie et Opérations de RBC Banque Royale en tant que « préposé à la conversion ». J’ai ainsi pu leur apporter mes con­nais­sances techniques et mon expérience en enseignement. Un an plus tard, le contrat est devenu un poste permanent de spécialiste en formation de la clientèle et, en mars 2026, je prendrai ma retraite après 20 ans de service à RBC. Ce qui était mon travail quotidien est devenu mon passe-temps, même si, ces dernières années, mon passe-temps occupe autant de temps qu’un deuxième emploi à temps plein, mais non rémunéré.
 

Ouais, ouais... Mais qu’en est-il de la politique ?

Les premières élections générales dont je me souviens vraiment sont celles de 1979, et j’ai une petite idée de pourquoi.

J’avais 13 ans. Le seul premier ministre que j’avais connu était Pierre Elliott Trudeau. Après tout, il occupait ce poste depuis 1968 et, comme je l’ai mentionné, je suis né en 1965. Soudain, l’homme qui avait « toujours été » premier ministre était en train d’être remplacé par un jeune homme qui me semblait plutôt con et portait le nom le plus fade qui soit : Joe Clark. (Joe Qui ?) Et on parlait beaucoup de la façon dont il formerait un gouvernement « minoritaire ». Mon jeune cerveau avait du mal à comprendre : avait-il gagné, oui ou non ? Et pourquoi ces gens dont je n’avais jamais entendu parler, les créditistes, détenaient-ils peut-être la « balance du pouvoir » ? Était-ce à cause de leur nom qu’ils accorderaient du crédit à Clark ? (Rappelez-vous : je n’avais que 13 ans. Je commençais à peine à m’intéresser à la politique mais, en même temps, le Canada que j’avais toujours connu était en train de changer sous mes yeux.) Et qu’est-ce que ce parti orange ? (Je ne savais pas encore qu’il deviendrait « mon » parti quand je serais grand.) J’étais à la fois confus et fasciné, et mon opinion de Clark a depuis longtemps changé.

Mais comme nous le savons tous maintenant, ce gouvernement est tombé en décembre 1979 et Trudeau, qui avait été persuadé de ne pas dé­mis­sionner comme chef libéral, est redevenu premier ministre en février 1980 jusqu’à sa célèbre marche dans la neige du 29 février 1984. Au moment des élections générales de 1984 — les premières auxquelles j’ai pu voter — j’en étais à ma deuxième année sabbatique (par choix) entre le secon­daire et l’université, et je vivais à Halifax où je travaillais dans une agence de découpures de presse électroniques — un genre d’entreprise qui n’existe plus à l’ère d’Internet, ce qui me fait penser à Bruce McLaughlin, dont le comté dans lequel il avait été élu a disparu lorsque la ville de Pine Point a fermé. L’un des clients de l’agence était le Parti progressiste-conservateur du Canada, donc mon travail exigeait que je porte une attention parti­cu­lière à la campagne qui a mené à la victoire écrasante de Brian Mulroney. Mais même si on me payait (maigrement) pour suivre la politique, personne n’avait à me tordre le bras. Comme à 13 ans, je continuais à être fasciné — une fascination qui perdure à ce jour.

Par la suite, des résultats électoraux aussi étranges qu’inattendus se sont produits, ce qui n’a fait qu’accroître ma fascination. J’étais retourné à Moncton en 1985, pour revenir à Halifax en 1987, après avoir décidé de réorienter mes études de la traduction vers les relations publiques. Mon déménagement est survenu seule­ment six semaines avant les élections générales au Nouveau-Brunswick, lorsque le Parti libéral a remporté tous les sièges de la législature. Comment CELA a-t-il pu se produire ? Mais je me souviens avoir pensé à un groupe pop populaire à l’époque, Frankie Goes to Hollywood, et avoir qualifié ces élections de « Frankie Goes to Fredericton ». Puis, au Manitoba en avril suivant, le Parti libéral est passé d’un parti presque mort à l’opposition officielle au sein d’un gouvernement minoritaire progressiste-conservateur. Cela a semblé attirer plus d’at­ten­tion des médias que le fait que les PC avaient renversé le NPD. Il y avait de nombreuses entrevues avec Sharon Carstairs, qui à l’époque parlait d’une voix particulièrement stridente. Pendant ce temps, beaucoup plus à l’ouest, le paysage politique de la Colombie-Britannique me semblait très étrange. Comment les gens là-bas pouvaient-ils si facilement passer du Crédit social et du plutôt particulier Bill Vander Zalm au NPD ?

Puis en 1993, le Parti libéral fédéral, dirigé par Jean Chrétien, a non seulement décimé les deux autres partis traditionnels pour former un gou­ver­ne­ment majoritaire, mais s’est aussi retrouvé face à une opposition composée d’un parti souverainiste québécois et d’un parti très con­ser­va­teur de l’Ouest. À partir de là, je ne pouvais plus m’empêcher de regarder. J’éprouvais un besoin absolu de comprendre ce qui se passait sur terre (ou au Canada) ! C’est donc alors que j’ai commencé à regarder les chiffres et à me gratter la tête. C’est à partir de là que j’ai commencé à remarquer l’énorme écart entre les pourcentages de votes et de sièges de chaque parti. S’agissait-il d’un phénomène nouveau, causé par la présence de plus de partis dans le paysage politique ? Ou était-ce simplement la norme dans tous les pays où les gou­ver­ne­ments sont élus démocratiquement ?

Je ne suis pas contre l’idée d’aller à la bibliothèque, mais même si l’histoire des systèmes électoraux et les résultats des élections passées m’intri­guaient beaucoup, je n’avais pas besoin de connaître ces choses-là pour mon travail rémunéré. Mais rendu en 2005, il était possible de faire de bonnes recherches en ligne depuis chez soi, ou du moins de trouver de bonnes pistes avant d’aller à la bibliothèque. C’est ainsi qu’indirectement PoliCan a vu le jour, même si je n’aurais jamais imaginé à l’époque que ça deviendrait l’encyclopédie devant vous aujourd’hui.

Quant à moi, je me présenterais en élection ? Oubliez ça ! Comme je l’ai admis, tout comme je ne suis pas doué comme homme d’affaires, je serais un politicien encore plus pitoyable. Je suis bien trop protecteur de ma vie privée et bien trop introverti pour même envisager cette possibilité !

Mais il y a plus que ça. Je pense que le don et la malédiction d’être introverti et de passer autant de temps à réfléchir aux choses ne réside pas dans le fait que je suis indécis, mais plutôt dans le fait que je peux voir tellement de points de vue différents à la fois, y compris ceux avec lesquels je ne suis pas d’accord, mais que je ne parviens pas toujours à voir sur quoi fonder un compromis. Pour moi, compromis n’est ni un mot sale ni un signe de faiblesse, et je crois fermement que la bonne politique consiste à pratiquer l’art du compromis. C’est l’antithèse de suivre une ligne de parti, et pour cette raison, je sais non seulement que je serais un piètre politicien, mais aussi que je serais extrêmement malheureux d’essayer d’en être un.

Et puis, mes amis proches me feraient remarquer que je devrais contrôler ce que nous appelons, à moitié en plaisantant, à moitié sérieusement, mon besoin de « sauver » les gens. Alors que je voudrais être proche de mon électorat, je serais probablement rapidement submergé par la bureaucratie dans mes tentatives de l’aider. Par conséquent, je deviendrais rapidement un politicien très inefficace.

Cependant, je crois qu’en plus de continuer à exercer mon devoir civique en votant à chaque élection, toutes les recherches et tous les travaux que j’ai effectués (et que je continue à effectuer) pour mettre sur pied PoliCan constituent ma meilleure façon de contribuer à l’évolution du processus électoral au Canada et au Québec. Comme le dirait tout historien·ne, il est important de regarder en arrière pour comprendre comment nous en sommes arrivé·e·s là et déterminer la direction que nous devrions prendre. Grâce à mes travaux, je crois que la prochaine étape est vers un système électoral proportionnel. De leur côté, les statisticien·ne·s s’accorderont à dire qu’un sondage est beaucoup plus facile à réaliser qu’un recensement, et PoliCan est un recensement de notre histoire électorale. Tout comme je n’ai pas naisié à venir au monde, je n’ai pas niaisé à faire un sondage.

Alors moi, je m’appelle Maurice, et je suis le créateur de PoliCan.



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Pub.: 14 mai 2022 09:08
Rev.:  1 fév 2025 14:15