par Maurice Y. Michaud (il/lui)
Comté, circonscription, district : ce sont tous des termes qui réfèrent à la même chose — un lieu géographique donné dont les citoyen·ne·s envoient un·e (et autrefois parfois plusieurs) député·e(s) pour les représenter dans une assemblée législative ou au parlement fédéral.
Au début de la Confédération en 1867, les circonscriptions étaient entièrement basées sur les comtés provinciaux, et c'est pourquoi qu'en français, les termes « comté » et « circonscription » sont utilisés de façon interchangeable à ce jour, alors qu'en anglais le mot « county » n'a rarement été utilisé dans un contexte électoral autre que pour désigner le nom du lieu. Au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, il y avait autant de circonscriptions qu'il y avait de comtés et, à l'échelle provinciale, celles qui avaient plus d'ayants droit — des hommes propriétaires âgés de 21 ans et plus — envoyaient plus de députés à leurs législatures respectives que celles qui en avaient moins. Pour leur part, les comtés plus peuplés de l'Ontario étaient divisés (par exemple, Brant North et Brant South), alors qu'au Québec, seules les villes de Montréal et de Québec étaient divisées en trois circonscriptions chacune.
Les cartes électorales fédérales et provinciales étaient identiques pour les deux premières décennies de la Confédération, sauf que les comtés du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse envoyaient moins de députés à Ottawa — un seul par comté, mais deux chacun pour Saint John (City & County) et Halifax — qu'à Fredericton et Halifax. Aujourd'hui, seul l'Ontario a des cartes électorales fédérales et provinciales similaires, la version provinciale ayant quelques circonscriptions de plus dans le nord pour mieux représenter de vastes régions peu peuplées surtout d'autochtones et/ou de minorités francophones.
Bien que le Canada était surtout un pays rural du début de la Confédération jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le résultat de cette carte électorale basée sur les comtés, en plus du droit de vote limité, était que les régions rurales étaient largement surreprésentées par rapport aux grandes villes. On pourrait soutenir qu'il y avait proportionnellement plus de propriétaires campagnards que citadins, mais pour une ville comme Montréal, avec environ 100 000 habitants en 1867, cela signifiait qu'elle n'avait que six députés (trois à chaque palier) contre un aux deux paliers pour Trois-Rivières et ses quelque 10 000 habitants. L'exigence de propriété a été abrogée vers 1920 dans toutes les juridictions ; les femmes ont obtenu le droit de vote de 1916 (Manitoba) à 1940 (Québec), et les grandes villes ont graduellement été mieux représentées à partir de la fin du XIXe siècle. Mais malgré ces réformes, la forte surreprésentation rurale a persisté dans toutes les juridictions jusqu'au début des années 1960. Elle existe encore dans une bien moindre mesure aujourd'hui — plus dans certaines juridictions que dans d'autres — mais elle est permise par souci d'équité, soit une reconnaissance des défis auxquels sont confrontés les résident·e·s en milieu rural isolé géographiquement et ceuxes qui les représentent.
Or, l'importance des comtés comme unité juridictionnelle s'est érodée au cours du XXe siècle. Par exemple, ils ont complètement disparu du Québec au début des années 1980, remplacés par des municipalités régionales de comté (MRC) et de plus grandes régions administratives dans lesquelles elles sont regroupées. Les comtés existent encore aujourd'hui au Nouveau-Brunswick mais sont de moins en moins utilisés comme unité organisationnelle, le système judiciaire étant l'un des rares qui s'appuie encore sur eux. Souvent, sur les cartes électorales contemporaines, les comtés ne servent qu'à prêter leur nom à une circonscription, comme Glengarry—Prescott—Russell en Ontario, même si la circonscription ne couvre pas tout le territoire des comtés prêtant leur nom. En fait, quoique les circonscriptions portent normalement le nom de points géographiques — villes et villages en zones rurales et quartiers en zones urbaines — certaines juridictions comme l'Alberta et le Québec nomment certaines de leurs circonscriptions en partie ou entièrement en honneur de personnages historiques ou politiques, comme Calgary-Klein en Alberta et René-Lévesque au Québec, bien que l'on pourrait dire que plusieurs comtés eux-mêmes tirent leur nom de personnages historiques (par exemple, Russell en honneur de Peter Russell).
En général, le nombre de circonscriptions et de sièges dans chaque législature et au parlement fédéral a augmenté au fil du temps. Les exceptions notables sont l'Île-du-Prince-Édouard, et Terre-Neuve-et-Labrador. Sur l'Île, les 16 circonscriptions à deux membres fondées sur les comtés ont été abolies en 1996 et remplacées par 27 circonscriptions uninominales qui ignorent les comtés. À Terre-Neuve, ce nombre est passé d'un sommet de 52 en 1985 au nombre actuel de 40 depuis 2015. Ce fait, combiné aux redécoupages et aux changements de nom des circonscriptions, rend très difficile de résumer l'histoire électorale d'emplacements précis dans les juridictions. Par exemple :
Ainsi, pour ce qui est de trouver l'historique électoral des circonscriptions, vous devez comme moi vous faire à l'idée que cette question, si simple en apparence, n'a pas de réponse aussi simple, parce que les circonscriptions, bien que fondées sur la géographie, sont en fait des cibles mouvantes.
N'y a-t-il absolument aucun moyen facile ?
Le système canadien de codes postaux alphanumériques, introduit et implanté au début des années 1970, pourrait fournir un moyen de rechercher l'historique électoral par lieu (donc par circonscription). Cependant, même si je peux probablement concevoir un tel moteur de recherche avec beaucoup de travail et d'études pour les plus récentes élections, j'aurais besoin de l'aide de plusieurs historien·ne·s possédant d'excellentes connaissances locales dans chaque juridiction et d'experts en géographie politique pour corréler les plus de 830 000 codes postaux actifs aujourd'hui aux 40 590 circonscriptions (ou « courses ») enregistrées à date dans le site de PoliCan. J'ai peine à imaginer entreprendre un tel labeur alors que ce projet se veut à temps partiel, et je crains que tout cela nécessiterait une maintenance continue au fur et à mesure que de plus en plus de codes postaux deviendraient actifs, sans mentionner que je ne suis pas convaincu qu'un tel outil serait très utile pour la plupart des chercheurs et chercheuses.
Oui, ça pourrait définitivement être pire ! Ça pourrait être comme aux États-Unis, où les politicien·ne·s ultra-partisan·e·s de chaque état sont chargé·e·s de redessiner la carte. Cela peut conduire à des absurdités comme la version 2011 du 7e district de Pennsylvanie au Congrès américain, illustrée ici. Familièrement, il était devenu connu sous le nom de district de Dingo qui donne un coup de pied à Donald Duck.
Ce district complètement illogique était le résultat de ce qu'on appelle le gerrymandering. C'est une pratique nommée d'après Elbridge Gerry, qui était le 5e vice-président des États-Unis, et auparavant le 9e gouverneur du Massachusetts, ainsi que le représentant du 3e district du Massachusetts au Congrès américain à la fin du XVIIIe siècle. Comme l'explique cet article de 2017 dans le Smithsonian Magazine, au début du XIXe siècle, afin de s'assurer que son parti gagnerait plus de représentation, Gerry a dessiné un district au Massachusetts qui ressemblait à une salamandre. C'est donc d'où vient le terme « gerry-mander ». Bien que ce n'était pas la première fois qu'une telle manipulation avait été effectuée, celle-ci est devenue la plus célèbre, et la pratique se poursuit partout aux États-Unis à ce jour. En fait, il semble que, pour plusieurs dans ce pays, cette façon ridicule de faire les choses est tout à fait normale.
Cependant, au Canada, ce processus a été retiré de la classe politique dans les années 1960. Au lieu, il appartient à des commissions indépendantes dans chaque province, présidées par des juges et composées d'experts comme des politologues. Après un recensement décennal, et selon une formule inscrite dans la constitution canadienne, chaque province se voit attribuer un certain nombre de sièges au Parlement. (Chaque province a sa propre formule similaire pour répartir les sièges dans sa législature.) Il appartient ensuite aux commissaires de redessiner la carte de leur province.
Comme l'écrivait Aaron Wherry de la CBC dans une analyse en août 2022, les élu·e·s — et, à l'occasion, certains citoyans — ne sont pas toujours satisfaits des cartes qui en résultent. Des audiences publiques ont lieu pendant le processus de redécoupage, ce qui donne aux gens l'occasion d'exprimer leurs préoccupations. Mais, en fin de compte, les commissaires ont le dernier mot et, généralement, les résultats ont été jugés justes et raisonnables — du moins dans les circonstances, compte tenu de la façon dont certaines disparités sont intégrées à la Constitution. Et, comme l'ont souligné les experts interrogés par Wherry, le processus pourrait toujours être amélioré.
Mais sans aucun doute, quand on compare notre système à celui qui existe aux États-Unis, on s'en sort définitivement mieux.
*. Ce n'était pas « facile » à faire ; c'était un travail long et méticuleux, mais il est maintenant facile pour vous et moi d'extraire ces informations qu'aucun site Web autre que PoliCan ne fournit aussi simplement et intuitivement.