L'histoire électorale du Canada de 1867 à aujourd'hui

Pourrions-nous changer notre système électoral au Canada et au Québec ?

par Maurice Y. Michaud (il/lui)

Image gracieuseté d'Élections CanadaAlors, les Canadien·ne·s n'ont pas toujours voté en utilisant le SMU qui est le seul système à être utilisé aujourd'hui. Par contre, rares sont ceuxes qui ont dû se familiariser avec un système proportionnel, et la plupart de ces gens ne sont plus ici pour raconter l'histoire. Ça, c'est dommage.

Car en effet, il devrait être clair d'après cet exposé que je considère le système SMU injuste et que je souhaite vivement que les Canadien·ne·s passent enfin à une forme de représentation proportionnelle comme c'est le cas dans la plupart des démocraties matures et fonctionnelles. J'avoue volontiers qu'il y a un système que je préfère, soit le système proportionnel mixte compensatoire (PMC) qui, ironiquement, retient le SMU pour la majorité des courses et l'adapte pour le reste des courses. Mais mes raisons pour le préférer au système proportionnel à vote unique transférable (VUT), qui a été utilisé de manière limitée en Alberta et au Manitoba du début au milieu du XXe siècle (et a été envisagé mais rejeté pour adoption en Colombie-Britannique en 2005), sont de nature très personnelle :

  1. Puisque je trouve le système PMC plus facile à saisir, je le trouve donc plus facile à expliquer au public.

  2. Le système PMC ne changerait pas beaucoup notre façon actuelle de voter (« Mettez un X dans un cercle sur chacun de ces deux bulletins »).

  3. Il n'est pas possible de développer un simulateur de la façon dont une élection passée aurait pu fonctionner dans un système VUT puisque les électeurs n'ont pas classé les candidat·e·s lors de ces élections, mais j'ai pu développer un simulateur de PMC avec la mise en garde que les électeurs auraient pu se comporter différemment s'ils avaient été tenus de voter pour un·e candidat·e local·e et un·e régional·e par parti. Mon simulateur de PMC peut être exécuté sur 408 des 465 élections générales actuellement en ligne sur ce site. (Il ne peut évidemment pas être exécuté pour les élections où il n'y avait pas de parti politique en raison de la forme consensuelle de gouvernement de cette législature.)

Mettant à part ma préférence, je concède volontiers que le système VUT, s'il est bien exécuté, mène à une meilleure proportionnalité. Mais ensuite, mes questions surgissent lorsque j'examine des échantillons de bulletins de vote, comme « Que se passerait-il si accidentellement je classais plus qu'un candidat de la même façon ? Est-ce que cela invaliderait mon vote ? » Je peux m'imaginer comment cela pourrait être empêché si le bulletin était électronique, comme un formulaire en ligne qui est suffisamment « intelligent » pour exclure une sélection si elle a déjà été choisie, mais les bulletins seraient probablement toujours sur papier. Je peux me voir gâcher mon bulletin ou, du moins, être stressé de ne pas le gâcher ! Ainsi, face à l'impossibilité de programmer des scénarios de simulation avec un système STV, j'ai souscrit à l'idée que n'importe quel système qui pourrait produire des résultats plus ou même quasi proportionnels serait meilleur que le SMU, et une variante bien conçue d'un système PMC ferait l'affaire.

L'une des seules fois de mémoire récente où la proportion de sièges et de votes était essentiellement égale avec le système SMU a été lors des élections générales de 1998 en Nouvelle-Écosse. Alors qu'un siège représentait 1,92% de l'Assemblée, le Parti libéral sortant était à égalité avec l'opposition NPD avec 19 sièges, tandis que les progressistes-conservateurs en remportaient 14. Si les conservateurs n'avaient pas perdu leur fief traditionnel de Pictou West au profit du NPD par une maigre marge de 33 voix, la répartition des sièges entre les partis aurait été aussi proportionnelle qu'on aurait pu s'y attendre et il n'y aurait pas eu d'égalité au premier rang.

Nouvelle-Écosse Nouvelle-Écosse
57 → 1998 :: 24 mar 1998 — 26 jui 1999 — Majoritaire Minoritaire  LIB 
Sommaire Gouvernement Opposition Votes non-productifs
Parti Votes Sièges Parti Votes Sièges Parti Votes
# % % # # % % # # %
Parlement: 57   Majoritaire Minoritaire
Majorité=27  Maj.Ab.: -8  Maj.G.: -14
Population [1998]: 932,033 (est.)
Éligible: 649,536  Particip.: 69.44%
Votes: 451,024  Non-productifs: 3,743
Sièges: 52   1 siège = 1.92%
↳ Sys.élec.:  SMU: 52  
↳ Sans opposition: 0 (0.00%)
Pluralité: Votes  LIB  Sièges  LIB 
Pluralité:  +3,019 (+0.67%)
Pluralité:  Sièges: 0 (0.00%)
Position2: Votes  NPD  Sièges  NPD *
Candidatures: 163 (✓ 52)   m: 131 (✓ 46)   f: 32 (✓ 6)
 LIB  52   NPD  52   PC  52   IND  7  
LIB
158,380 35.30 36.54 19
NPD
PC
155,361
133,540
34.63
29.77
36.54
26.92
19
14
IND
REJ
ABS
1,325
2,418
198,512
0.30
0.54
——
 !!!  26 (50.00%)
Comme on pouvait s'y attendre avec la mentalité majoritaire du « gagnant doit tout remporter » inhérente au SMU, ce gouvernement était voué à l'échec dès son élection : instable, il n'a duré que 16 mois. Mais dans un système proportionnel, les élu·e·s sont obligé·e·s de faire des compromis pour représenter les citoyans comme lels ont demandé à l'être. Le mot coalition n'est sale que pour ceuxes qui cherchent plus de pouvoir pour leur parti ou pour euxes-mêmes.

La raison pour laquelle un système majoritaire comme le SMU donne des résultats déséquilibrés est purement mathématique, comme cet exemple d'une simple pluralité de 33 voix devrait montrer amplement. Or, si l'appui du Parti libéral avait été (1) légèrement supérieur et (2) réparti également sur le territoire, il aurait pu arriver en tête dans les 52 comtés grâce à quelques ou plusieurs pluralités ténues. Déjà ils étaient à moins de 250 voix de la première place dans cinq circonscriptions :

 PC  Chester-St. Margaret's (103)    PC  Digby-Annapolis (233)    NPD  Halifax Citadel (37)    PC  Lunenburg (132)    NPD  Preston (229)
Dans un système où la seule chose qui compte est d'arriver en premier, tou·te·s les autres sont exclu·e·s même si, ensemble, lels forment une écrasante majorité. Cependant, si Pictou West était allé aux conservateurs comme prévu et les cinq ci-dessus étaient allés aux libéraux, le décompte final des sièges n'aurait rien donné à écrire — juste une autre déformation typique du SMU :
 LIB  24    NPD  16    PC  12

Mais un changement arrivera-t-il (encore) un jour ?

Quoique j'étais sceptique lors de la campagne électorale fédérale de 2015 lorsque le chef du Parti libéral avait affirmé que ces élections seraient les dernières à se tenir en mode SMU, une partie de moi voulait y croire. Mais la plus grande partie de moi se disait : « Facile pour le troisième parti à la Chambre de promettre cela quand il est susceptible de rester dans cette position », car c'était là où les choses semblaient se diriger à ce moment-là. Cependant, lorsque les libéraux nous ont plutôt surpris en formant un gouvernement majoritaire, ma pensée s'est déplacée vers : « Il n'y a aucune chance qu'ils vont vouloir changer le système maintenant ! »

Il s'est avéré que j'avais raison. Après tout, qui voudrait changer un système après qu'il vient de vous donner 54,4% des sièges pour 39,5% des voix ? Mais j'avais tort d'évoquer cette cause à effet trop évidente. Il ne m'était pas venu à l'esprit que les libéraux étaient en train de parler de remplacer le système SMU par un autre qui, par pure coïncidence, les empêcherait à jamais d'être encore humiliés à la troisième place aux Communes. C'est lorsque le gouvernement a annoncé au début de 2017 qu'il ne poursuivrait plus la « réforme électorale » (ou du moins l'idée de la représentation proportionnelle recommandée par le Comité spécial sur la réforme électorale) que j'ai réalisé que je ne me souvenais pas avoir entendu le chef libéral dire le mot « proportionnelle » durant la campagne — juste que ce serait les dernières élections en mode SMU.

Hélas, le système préféré des Libéraux fédéraux — le vote alternatif — causerait encore plus de majorités déséquilibrées que le système SMU ! Pour être franc, je considère leur « préférence » comme le comble du cynisme en avançant un système autre que le SMU qui assurerait que leur pire sort serait de former l'opposition officielle, puisqu'en effet, étant donné que depuis le début des années 1960 le Parti libéral du Canada est perçu comme le parti du centre, la plupart qui le placeraient au deuxième rang pourraient provenir de sa gauche ou de sa droite immédiate, alors que les deux autres grands partis — les Conservateurs et le NPD — ne pourrraient pas compter être le deuxième ou même le troisième choix de l'un et de l'autre.

Pendant ce temps au Québec, peu de temps avant les élections générales de 2018, tous les grands partis sauf les libéraux qui étaient au pouvoir à l'époque ont signé une entente promettant de passer à un système électoral proportionnel. Plusieurs observateurs étaient surpris de voir la Coalition avenir Québec appuyer cette idée alors qu'elle semblait enfin près de remporter les prochaines élections avec le système traditionnel. Lorsqu'elle a effectivement pris le pouvoir, elle a commencé à travailler sur le changement (bien que lentement), mais ensuite la pandémie de COVID-19 a frappé.

Sans grande pompe, le 28 avril 2021, le ministre de la justice a informé le comité législatif travaillant sur le changement que le gouvernement n'irait pas de l'avant avec un référendum sur la réforme électorale parallèlement aux prochaines élections générales en 2022 et qu'il ne pouvait pas s'en­ga­ger à fournir une autre date pour le référendum. Il est intéressant de noter dans ce cas que la CAQ avait remporté 59.2% des sièges avec seule­ment 37.4% des voix lors des élections de 2018, et déjà les sondages suggéraient qu'elle était en passe de remporter une majorité encore plus grande lors des prochaines générales due non seulement à sa popularité mais aussi à la fragmentation et au manque d'organisation dans l'opposition. Vinrent les générales de 2022 et, en effet, les résultats étaient encore plus déséquilibrés que ceux de 2018.

Le graphique ci-dessus montre la répartition des votes par parti. Mais qui, sain d'esprit, serait assez témérère pour affirmer que la façon dont ces résultats se sont traduits en sièges était un reflet adéquat de ce que les électeurs·électrices ont exprimé dans l'isoloir ?

 CAQ  90 (72.0%)    QS  11 (8.8%)    PQ  3 (2.4%)    PLQ  21 (16.8%)    PCQ  0 (0.0%)

Aussi passionné que je sois par le passage à un système de représentation proportionnelle, je me demande après de telles manigances si la réforme électorale la plus urgente devrait être d'empêcher les élu·e·s de faire passer le gain partisan avant la volonté électorale du peuple. Si cela pouvait être fait, nous pourrions avoir une discussion sérieuse et non partisane sur la façon dont notre système électoral pourrait mieux refléter ce que l'électorat dit par le biais de ses bulletins de vote. La dernière fois qu'une juridiction au Canada a changé son système électoral était en 1991, ce qui dans l'ensemble n'est pas du passé distant, et il n'y a aucune raison de ne pas pouvoir envisager un changement à nouveau.

Examinons maintenant quelques exemples d'élections en SMU qui justifient l'abandon de ce système.



© 2019, 2024 :: PoliCan.ca (Maurice Y. Michaud)
Pub.:  9 mai 2022 23:15
Rev.: 14 mai 2023 08:01